Yann Le PuitsEditions de la Clairvoyance2023-07-18T12:36:07+02:00All Rights Reserved blogSpiritHautetforthttp://yannlepuits.hautetfort.com/lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html43 Sous al férule de l'aigletag:yannlepuits.hautetfort.com,2023-01-19:64232932023-01-19T11:24:06+01:002023-01-19T11:24:06+01:00 43 Sous la férule de l’aigle « La...
<p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="center"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: large;"><strong>43 Sous la férule de l’aigle</strong></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="center"> </p><p class="western" style="font-weight: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"> </p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">« La routine n’est pas seulement une suite de gestes et d’habitudes matériels et corporels. Dans le domaine de la pensée, les mécanismes et les schémas jouent aussi un rôle que l’écrivain ne devrait jamais sous-estimer, car ils peuvent donner l’illusion de penser, alors que nous ne faisons que rabâcher intérieurement. L’écriture alors devient obsessionnelle et le radotage supplante la créativité.</span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Partout, il existe des esprits emprisonnés dans d’étroits canaux, que rarement l’on cure, au fond desquels la vase des préjugés incruste ses pièges fétides et gluants. J’ai croisé de tels gens au cours de mes voyages, dans tous les pays que j’ai traversés. Comment les laborieux de Santa Soledad eussent-ils pu échapper à cette loi ? </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Quelques remous ont pourtant agité la paix de ce néant existentiel, lorsque s’est produit le premier incident grave, entre les deux communautés, celle des humains et celle des rapaces. Je n’ai pas assisté aux événements que je vais m’efforcer de conter. Ma relation est basée sur les témoignages que j’ai recueillis de la part des protagonistes. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">La journée s’annonça chaude. Comme à leur habitude, Lucas et Joesfina Obrero avaient déposé leurs jumeaux, fille et garçon, à la crèche municipale, sous la douce et professionnelle vigilance de Pilar Escudo et Carla Curatodo. L’absolue limpidité du ciel promettait l’une de ces journées où, sans conteste, la lumière est reine du temps et de l’espace. Les bébés sachant déjà marcher trottinaient dans la courette au sol semé de gazon, au milieu duquel un arbre ombrage les épidermes trop sensibles pour supporter l’exposition directe aux rayons. Les puéricultrices avaient sorti la plus grande variété de jouets disponibles pour divertir les galopins et galopines. Les plus petits soit dormaient dans des couffins, soit se traînaient à quatre pattes dans le parc au sol fait d’une matière souple, fréquemment aseptisée, mieux adaptée à leur âge que la pelouse. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Les cris, les pleurs, les rires et les chants s’élevaient du petit espace enfantin, bouquet contrasté de sons dans la clarté du jour. L’incessante rumeur de Santa Soledad cernait l’îlot de paix enfantine et de joies puériles. Cela riait, pleurait, babillait, chantonnait, mais, dans les jardins et le Parc, sur les toits et dans les arbres, plus aucune trille, ni gazouillis, ni roucoulements, ni roulades ou sifflements n’apportait de contrepoint aux grondements de moteurs, crissements de pneus, mitraillage trépidant des marteaux piqueurs, hurlements des sirènes, bourdonnements des hélicoptères, sifflements s’échappant de milliers de cocotte-minute impatientes, au total la symphonie de l’urbaine cacophonie. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">A quelques centaines de mètres de là, dans le Parc Julio Bravo, la musique est d’autant plus féroce qu’elle est impuissante : grognements d’ours et rugissements de lions. Déjà, peu de promeneurs se hasardent au fil des allées, le long desquelles les vautours traînent leurs ailes paresseuses, parfois survolent de si près les têtes des gens que l’air ainsi déplacé décoiffe les chevelures les mieux apprêtées. Dans le langage des vastes charognards, cela signifie : « Fuyez, car nous sommes ici chez nous. ». Sur la totalité de la ville, de temps à autre, claquent les appels rauques et criards des rapaces. La faim les a choisis comme porte-parole. C’est elle qui gémit et se plaint, à travers eux. Ils sont sa plus belle, sa plus haute, et sa plus sauvage expression. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Santa Soledad est devenue leur base de départ, et celle de retour. De la ville ils ne s’éloignent que pour plus sûrement y revenir. La faim se sert d’eux comme de boomerangs. A quelques kilomètres du centre ils planent, chassent, tuent, dévorent leurs proies habituelles. Néanmoins, ils semblent de plus en plus se plaire au cœur de l’environnement citadin. Plus un arbre, plus un toit, qui ne serve de perchoir, où l’on ne voie les aires ou les nids de taille très variables. Convoitées, les deux tours carrées de la cathédrale ont été l’objet de combats fratricides. L’une appartient au plus grand, au plus fort des aigles, l’autre au maître des condors. Il en est de même pour les bâtiments hauts, à terrasse. Où que l’on soit, il faut apprendre à vivre sous le signe des serres. Les petits chiens et les chats ne peuvent plus sortir sans être assaillis, lacérés, transpercés, égorgés, dévorés sur place ou emportés plus loin, plus haut. Nous commençons à penser que les libérateurs en prennent trop à leur aise. Certes, la tradition veut que l’armée de libération vive des ressources du pays, mais jour après jour, les rapaces outrepassent leurs droits. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Inconvénient que nul n’avait prévu, la disparition des passereaux a facilité la multiplication des insectes, en particulier des mouches. A travers Santa Soledad, nous subissons les nuages importuns de ces bestioles têtues, vrombissantes, tournoyantes et piquantes. Afin de leur échapper, le seul moyen est de ne plus ouvrir ses fenêtres et de s’enliser dans la glu de ses propres miasmes. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Certaines personnes s’y sont résignées comme au moindre mal, car, à l’extérieur, les fientes des rapaces, beaucoup plus abondantes que celles des passereaux, attirent les nuées de mouches et tous les insectes coprophages, en particulier des scarabées. Les trottoirs sont souillés de puantes matières en décomposition, où grouillent les représentants du règne bardé d’antennes, d’élytres et de mandibules. La faim s’exprime là encore, sous sa forme abjecte et fétide, minuscule mais multiple. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Les ouvriers municipaux nettoient sans relâche l’ordure biodégradable, qu’épandent les maraîchers sur les champs de légumes, mais leurs efforts d’assainissement sont presque aussi vains que ceux de bâtisseurs de châteaux de sable, face à la marée montante. L’hygiène est devenue l’inaccessible idéal, vers lequel tendent la force et l’énergie, mais à peine les équipes de nettoyage ont-elles curé un secteur que la salissure se reconstitue, inépuisable source de puanteur. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Au supermarché, William Quickbuck jubile : jamais il n’avait vendu autant de désodorisants, de vaporisateurs agréablement parfumés, ni d’eau de javel, car les habitants s’évertuent tous à désinfecter leur seuil. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">De son bureau, Pilar Escudo surveillait la courette. Parfois, l’un des bambins venait tapoter de sa menotte contre la porte-fenêtre, qui donne à la directrice facilement l’accès à l’aire de jeux. Tout allait pour le mieux. Les puéricultrices pouponnaient avec tout le savoir-faire de leur métier. Aux oreilles de la directrice, les rires et les ritournelles des fillettes et des garçonnets sonnaient comme la plus mélodieuse des musiques. L’une des jeunes femmes berçait un bébé dans ses bras ; une autre donnait le biberon à un angelot rose et bouclé ; les autres animaient des jeux collectifs entre les plus grands, ou distrayaient les plus petits, hochets en mains, comptines à la bouche. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Pilar Escudo sourit à Carla Curatodo, qui pourtant n’est pas sa préférée de l’équipe. Elle se sentit l’âme de la meilleure directrice de créche à des milliers de kilomètres à la ronde. La vie lui souriait, pourquoi ne lui aurait-elle pas souri en retour ? </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Ce fut alors que le décor paradisiaque bascula dans l’horreur. Eclipse du soleil que personne n’avait annoncée, d’un coup, la nuit tomba sur la courette. Les puéricultrices hurlèrent, moulinèrent des bras en direction du ciel, coururent en tous sens, saisirent comme des paquets les bébés braillards, poussèrent ceux qui savaient marcher vers l’intérieur, soulevèrent les couffins, mais l’attaque était trop massive, trop bien orchestrée, l’ennemi trop multiple. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Pilar Escudo se précipita pour aider les puéricultrices. Les jambes libres sous la très ample robe, elle bondit dans la courette, armée d’une chaise aux pieds d’acier, qu’elle dirigea vers le haut et fit tournoyer aussi vite qu’elle le pouvait, frappant au hasard les assaillants. Le combat fut de courte durée. Picotée de partout, dégoulinante de fientes et de sang, des touffes de cheveux arrachées, la peau des bras égratignée, une large et profonde entaille au front, la vaillante directrice battit en retraite, se réfugia dans le bureau, appela le Commissaire. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">« Quoi ? Incroyable ! Les rapaces s’en prennent aux bébés ! Je vous envoie tous mes hommes armés disponibles. Y a-t-il des victimes ? Oui, vous attendez que les puéricultrices aient compté leurs nichées… »</span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Lorsque la police arriva, les agresseurs s’étaient envolés vers leurs citadelles de béton ou de verdure. Au passage, les tireurs abattirent autant de rapaces qu’ils le purent, mais les troupes ennemies sont si nombreuses que les pertes ne les affectent pas. Les cadavres engraissent les survivants, accentuant leur détermination d’occuper Santa Soledad. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">A la crèche, Pilar Escudo et ses puéricultrices étaient catastrophées. Malgré leur bravoure et leur célérité, les sbires volants avaient réussi à emporter trois nourrissons. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">La guerre est donc déclarée. La nature profonde des prétendus libérateurs mais bien réels prédateurs a crié sa vérité, en pleine lumière de la double innocence, celle du soleil immaculé et celle de l’enfance. Les assiégeants ne campent pas autour de la ville, mais à tous les endroits qui leur permettent de contrôler sans cesse les places et les avenues, les ruelles et les rues, les venelles et les cours, les jardins et les aires de stationnement. Le petit de la femme s’est mué en nourriture, en gibier. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Deux ou trois visionnaires, que nul ne croit, ont décrit ce qui suit : </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">« Au faîte du clocher de la cathédrale Santa Trinidad de los Castigos, l’aigle d’acier claqua du bec et tenta d’ouvrir ses ailes, mais il était trop tôt. Le fabuleux envol n’est pas encore à la portée de ses forces. Avec sagesse, il y renonça provisoirement, mais ses yeux ne sont plus ceux d’une statue, ces fosses de vacuité, mais au contraire deux soleils rougeoyants, deux brasiers maléfiques. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">Dans l’édifice religieux, sous la voûte embrumée d’encens, le lutrin d’or a voulu s’arracher du socle qui emprisonne son vol. Ses yeux de rubis fulminèrent contre le sort qui le condamne à cet ancrage chrétien et rassurant, de support de la Bible. Les ailes frémirent, se tendirent jusqu’à friser la rupture ; dans la pénombre de la nef, une volonté de vengeance et une haine accrue embrasèrent ses yeux, que la prescience de la satisfaction a renforcé. »</span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">La malédiction des Maztayakaw a trouvé ses instruments et sa voie. </span></span></span></p><p class="western" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;" align="justify"><span style="font-family: Bahnschrift, serif;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-weight: normal;">De toutes ses dents voraces, Thanatos ricane, sûr de savourer le festin digne de son divin appétit. » </span></span></span></p>
lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html42 Le diktattag:yannlepuits.hautetfort.com,2022-09-24:64028222022-09-24T15:35:42+02:002022-09-24T15:35:42+02:00 42 Le diktat ...
<p align="center"><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">42 Le diktat</span></p><p align="right"><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Bientôt, on vit les conquérants ailés patrouiller dans la grise étroitesse du ciel citadin. Alors, leurs circonvolutions tracèrent le signe d’une menace que l’homme ne fixa plus sans soupçonner d’être à son tour devenu proie potentielle. La crainte, pourtant, s’avéra prématurée. La faim, l’éternelle, l’irrésistible faim aiguisa leurs instincts de tueurs et leur fit choisir les plus vulnérables des victimes. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le gardien du Parc se demanda ce que cherchaient ces nuées de rapaces, au-dessus des enclos. Dans l’étroite cervelle, les animaux prisonniers n’étaient que des objets de collection, exposés là pour le plaisir des visiteurs, mais certainement pas comestibles, en fait aussi peu mangeables que les chiens et les chats du quartier. Des chanteurs, forcés au silence par la terreur, se cachaient-ils sous les feuillages ? L’extermination n’avait-elle pas été totale ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> C’était étrange, de voir ces centaines, ces milliers de rapaces planer, tournoyer, se balancer au gré du vent, plonger comme pour atteindre le sol, puis fuser vers le ciel sans avoir capturé la moindre bestiole . On eût dit qu’ils se retenaient, ou qu’une sorte de dieu des rapaces les freinait, les tenait en bride, pour agrandir leur insondable appétit, ce gouffre où les chairs se confondent sans espoir de résurrection. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Mais… ma parole, ils s’attaquent à mes poules ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ce n’étaient pas « ses » poules, mais celles du Parc, mais le gardien qui les soignait journellement avait fini par les étiqueter comme siennes. L’homme s’arma d’un râteau, partit en courant vers le poulailler, l’ouvrit à la volée, y bondit, moulina comme un forcené, le manche bien serré dans les poings, les piques d’acier dirigées vers le haut, sans réussir à frapper l’ennemi. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Ah, les vauriens, ils en ont pris plusieurs ! Partez ! Foutez le camp d’ici, nom d’un chien ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Il dut reculer, tourner bride, s’enfuir; les rapaces furent des dizaines à tournoyer au-dessus de sa tête, à piquer vers lui, à le frôler, manifestement plus pour l’impressionner que l’attaquer réellement, mais la menace ne devait pas être ignorée. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Pas croyable, ce culot ! Mais en voilà d’autres, et d’autres encore ! Partout à la fois ! Ma parole, ils vont s’attaquer aux cervidés ! Rien ne leur fait peur ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Courant de ci, de là, l’homme appela les jardiniers à l’aide, supplia les passants de se joindre à eux, brailla en direction des fenêtres des maisons alignées autour du Parc. A cet instant, la benne à ordures passa le long des grilles. La voix de Pedro Hazacan se fit entendre, et le gardien la reconnut. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Pedro, vite, arrive avec tes copains, viens m’aider, je n’y arriverai pas seul, ils vont bouffer tous mes animaux, tenez, je vous donne des outils, faut se défendre contre ces bandits ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Pedro, chauffeur de la benne, et les deux éboueurs, accoururent, suants, portant l’odeur de décomposition organique caractéristique de leur métier, comme la prostituée son parfum, comme le chevalier son panache. Les quatre jardiniers s’allièrent à eux, et tous étaient des gaillards peu habitués à se laisser monter sur les pieds, ou encore moins picorer le cuir chevelu, maême par des rapaces. Dans la cabane pleine d’outils, les défenseurs des pensionnaires du Parc s’armèrent de tout ce qui pouvait blesser, mais ni les pelles, ni les râteaux, ni les fourches ou les pioches n’impressionnèrent les rapaces. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Pour chaque nouveau combattant humain, les agresseurs semblèrent se multiplier, par dix, par cent, par mille. Des nuages d’ailes brunes, grises, blanches ou noires obscurcirent le ciel. Des faisceaux de becs claquaient, des foisons de serres frôlaient leurs visages épouvantés. Passants et voisins se gardèrent bien de participer à l’échauffourée. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les sauveteurs impuissants couraient d’un enclos à l’autre, les ouvraient pour donner aux animaux une chance de fuite, s’agitaient en tous sens, touchaient rarement l’un des agresseurs, et, s’ils y parvenaient, la blessure n’était que légère, le rapace s’écartait de la lutte et se réfugiait sur la cime d’un arbre, d’où il appelait ses comparses à le venger. Les quelques tueurs frappés à mort servirent aussitôt de proies. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Sauf les ours et les lions, que leur force protégeait même du plus téméraire des assauts, tous les animaux succombèrent : les daims et les chèvres, les biches et le cerf, le phoque et le muflon. Partout, dans les jardins et les basse-cours de la banlieue, ce furent les mêmes carnages : poules et lapins, oies et canards et dindons, tout ce qui portait poil ou plume fut transpercé, égorgé, dévoré, souvent sur place, comme pour infliger l’horreur du spectacle aux propriétaires impuissants à à défendre leur cheptel. Les quelques audacieux qui le tentèrent durent se résoudre à la fuite. Rien ni personne ne pouvait résister à un tel déploiement de férocité.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les charognards s’empressèrent, dès que les seigneurs eurent satisfait leur fringale, de parachever l’œuvre destructrice. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le soir de cette néfaste journée, dans tous les foyers, il ne fut pas question d’autre chose. Les adultes regrettèrent surtout la perte de viande, les enfants celle de compagnons de jeux, tels les lapins, ou de volatiles qu’ils se plaisaient à observer, ou même dont ils admiraient le plumage, allant parfois jusqu’à collectionner les plumes tombées pour se confectionner des coiffures d’Indiens. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ceux qui ne possédaient pasde basse-cour, et n’avaient donc rien perdu dans le massacre, se lamentèrent à propos des bêtes du Parc. Ce qui les chagrinait, ce n’était pas que les pensionnaires contraints aient tous péri, mais qu’il faudrait les remplacer, lorsque les rapaces auraient quitté la ville, pour se réinstaller dans et sur le Castillo de los Aguilas et le Torreon de las Tormentas, car de cela, personne ne doutait : les rapaces partiraient.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les jours suivants, l’air fut saturé de poussière sanglante, mêlée de plumes bariolées, de poils gris, marron, blancs ou noirs, dénonciation visible et suffocante des forfaits qui, dans Santa Soledad, avaient annulé l’existence animale, à l’exception de celle des chiens et chats, proies beaucoup moins vulnérables, et de celle, ténébreuse et grouillante, des rats. Aux trop sensibles bambins qui pleuraient le martyre des animaux, les adultes promirent qu’ils renouvelleraient la population du Parc et des basses-cours, dès que les prédateurs aux serres meurtrières se seraient envolés de Santa Soledad, vers des contrées inconnues, où ils iraient poursuivre l’œuvre, atroce parfois mais toujours nécessaire, d’élimination des chanteurs perturbateurs. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ne fallait-il pas plutôt se réjouir du fait que, depuis le trépas des dérangeurs écervelés, les gens profitaient d’un repos véritablement réparateur, si nécessaire à l’efficacité quotidienne ? Des esprits jugés pessimistes objectèrent que l’on ne pourrait pas refouler les exterminateurs vers les limbes infernaux, où des gens irresponsables étaient allés quérir leur maléfique intervention. En germe, le pire était contenu dans le ventre de l’avenir, fœtus grimaçant, difforme myrmidon… On taxa les pisse-froid d’alarmisme et l’avertissement fut rejeté comme le symptôme supplémentaire d’un goût pervers pour le catastrophisme. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Soucieux de ne négliger aucune précaution, Augusto Valle y Monte délégua le clochard ornithologue interprète, Steve Birdwatcher, auprès des rapaces, afin de leur signifier clairement que leur présence à Santa Soledad n’était plus désirable, ni désirée. Une heure entière, le polyglotte parlementa avec les nouveaux venus. Après quoi, tête basse, il revint vers l’Hôtel de Ville, où il dut annoncer le refus injurieux que les chefs, avec la morgue de la force sûre d’elle-même, lui avaient asséné. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les occupants se serviraient de Santa Soledad comme d’une base pour chasser dans la campagne environnante. Bien que cette réponse ne fût qu’à demi satisfaisante, le Comité d’Assainissement Public déclara que la communauté reconnaissante offrirait encore quelque temps aux libérateurs l’hospitalité. Afin que régnât la concorde, chacun, hommes sur la terre et rapaces dans les airs, vaquerait à ses occupations, en évitant de s’immiscer dans les affaires du clan voisin. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Par une claire et tiède matinée, Mark Mywords se présenta devant la porte de l’archevêché. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Monseigneur a demandé à me rencontrer, annonça-t-il au portier, en lui montrant la lettre estampillée. L’homme examina minutieusement le document, s’assura de son authenticité, puis appuya sur un bouton rouge, situé sur un panneau électronique où clignotaient de petites lumières aux diverses couleurs. Ni le portier, ni Mark, n’entendirent la sonnerie, qui se déclencha beaucoup plus loin et plus haut dans le palais. Deux minutes plus tard, le nouveau secrétaire de Monseigneur arriva, sévère et rigide dans sa soutane noire, qui semblait le porter comme un nuage annonciateur d’orage. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Veuillez me suivre, Monsieur, invita-t-il courtoisement l’écrivain. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Mark Mywords suivit son guide, qui arpentait les salles aux lambris dorés, hautes de plafond, et les couloirs aux détours capricieux, à longues enjambées. Le visiteur était ponctuel, et l’archevêque prisait hautement la ponctualité. Après quelques minutes d’un parcours, imprévisible et sinueux pour le nouveau venu, l’abbé toqua contre la porte, au milieu de laquelle, gravés sur une plaque de cuivre, on lisait les mots : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Bureau de Monseigneur ». </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Au cours de la déambulation, rares avaient été les plaques exposant l’usage de la pièce correspondante . Ils entrèrent, après dûe permission. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Angel Pesar de la Cruz s’avança vers l’auteur. Pour l’occasion, il n’avait pas revêtu d’ornements qui eussent pu rappeler de façon trop ostentatoire le sacerdoce. Le prélat s’en tenait à la sobriété, sanglé dans le costume gris anthracite, sur le fond duquel la chemise blanche apposait une éclaboussure de lumière, que partageait en deux moitiés la cravate noire. La croix d’argent luisait au revers de la veste, du côté droit. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Soyez le bienvenue, M. Mark Mywords. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ce faisant, il tendit la main à la célébrité littéraire. Les deux mains s’étreignirent avec fermeté, les deux regards se rencontrèrent et chacun examina l’autre, comme pour jauger la force d’un possible adversaire, mais aussi la fiabilité d’un éventuel associé.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Monseigneur, vous me voyez très honoré de vous rencontrer. Je ne sais si je saurai me montrer à la hauteur de ce que vous attendez de moi. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - D’après les renseignements que l’on m’a fournis, mon fils, vous êtes grand connaisseur de la langue des Maztayakaw, de laquelle je ne possède que des rudiments. J’ai bien essayé, seul, de traduire les tablettes de la prophétie, car les divergences et les contradictions entre les différentes traductions m’embarrassent quelque peu. Pourriez-vous m’aider, je vous en prie, à élucider les points litigieux ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Volontiers, Monseigneur, avec plaisir. Je suis à votre disposition, et d’autant plus facilement depuis que mon séjour à Santa Soledad se prolonge et ne paraît plus autant déplaire à Monsieur le Commissaire. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - J’en suis fort aise pour vous, mais veuillez vous asseoir. Avez-vous apporté le résultat de vos recherches ? Pouvons-nous le comparer avec ce que j’ai moi-même trouvé ? »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Deux heures plus tard, l’écrivain prenait congé de l’archevêque. L’impression avait été excellente de part et d’autre. Ils se séparèrent en se disant que, s’ils ne suivaient pas le même chemin, ils cherchaient le même but, qui s’appelle « lumière » ou « vérité ». Le clerc mettrait une majuscule au début de ces deux mots, tandis que Mark Mywords se contenterait de la minuscule, mais la différence orthographique ne méritait pas un débat passionné. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> A l’extérieur de la ville, le gouffre avait encore grandi, s’était élargi et approfondi, mais bien des kilomètres le séparaient encore des zones industrielles, situées à la périphérie. Le péril n’était pas pressant. Quotidienne, l’existence continuerait. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p>
lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html41 Exterminationtag:yannlepuits.hautetfort.com,2022-09-12:64007282022-09-12T15:42:32+02:002022-09-12T15:42:32+02:00 41 Extermination En masses...
<p align="center"><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">41 Extermination</span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> En masses rapides, des quatre points cardinaux, les rapaces affluèrent ; dans el Castillo de los Aguilas, ils se rassemblèrent ; les plus forts et les plus puissants occupèrent el Torreon de las Tormentas. Leurs vols furent si nombreux, si fournis, si continus, qu’ils formèrent un énorme nuage, à travers lequel, une heure entière, le soleil ne parvint guère à percer. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’on identifia, grâce à des jumelles et dans le désordre alphabétique :vautours et urubus, spizaètes et serpentaires, sacoramphes et pygargues, percnoptères et orfraies, lanerets et milans, hobereaus et harpies, gypaétes et griffons, gerfauts et faucons, éperviers et émerillons, crécerelles et condors, circaètes et buses, balbuzards et autours, alérions et aigles, pour ne citer que les plus remarquables. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ceux-ci venant du Nord, ceux-là venant du Sud, les uns de l’Ouest, les autres de l’Est, par dizaines, par centaines, par milliers, des kyrielles et des myriades d’ailes féroces battant le rythme barbare, ils emplirent l’atmosphère d’innombrables claquements. Vol ample, serre acérée, bec vorace et, nichée au creux du ventre, tel l’ulcère, l’impérieuse, l’incurable faim…</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’armée de dissuasion arriva par une matinée dominicale. Les laborieux se reposaient lorsque, sur un ordre de l’état-major, les escadrilles s’envolèrent depuis el Castillo de los Aguilas. De leurs fenêtres, les spectateurs virent tout. Vers les toits ils plongèrent. Dissimuler leur approche, réprimer les cris de guerre, ils ne le jugèrent pas utile, sûrs qu’ils étaient qu’un seul d’entre eux vaudrait cent adversaires. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Annoncé par des prophètes que trop peu d’oreilles avaient bien voulu écouter, l’anéantissement advint. Les seigneurs de l’air se saisirent, dans Santa Soledad, de tout ce qui portait plumage. Même les canards, les cygnes et les poules du Parc ne furent pas épargnés. Parce que prononcé en un lieu tenu secret, par de sombres assemblées qui n’avaient pas convoqué les accusés, la condamnation fut sans appel, l’exécution de la sentence sommaire et finale. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Lorsque les rapaces eurent achevé de pourchasser et massacrer les indésirables, sur le faîte des toits et la cime des arbres, pour la nuit, repus, ils se perchèrent. On ne douta pas que, dès l’aube, ils repartiraient. Le contrat ne stipulait-il pas expressément que le séjour des nettoyeurs ne devait être que temporaire ? Certes, ils n’avaient pas respecté la première clause, en vertu de laquelle ils eussent dû seulement effrayer les chanteurs, mais cela ne signifiait pas qu’ils rompraient toutes les promesses. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Rien n’est moins sûr, affirmèrent quelques rabat-joie. Les autres habitants répliquèrent que Santa Soledad allait revivre, puisque la trêve du sommeil était de nouveau accordée. Les habitants pouvaient-ils décemment refuser l’hospitalité à ceux qu’il fallait bien nommer « libérateurs » ? Les premiers répliquèrent aux seconds que les « envahisseurs » n’avaient pas été invités à passer la nuitée à l’intérieur de la Cuidad. Ils s’étaient imposés, sans le moindre savoir-vivre. L’on avait introduit l’aigle dans la volière. Qui affirmerait, sans crainte d’erreur, que de leur plein gré, vers d’autres aires, les rapaces s’envoleraient ? Et si les conquérants allaient refuser de quitter les lieux, qui oserait les en déloger ? Qui en aurait la force ? Enfin, le ciel de Santa Soledad se peuplerait-il jamais de nouvelles colonies d’oiseaux inoffensifs, de ces volatiles chanteurs qui dorment la nuit ? La peur ne les écarterait-elle pas définitivement de la cité ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> A la minorité stupidement alarmiste, la majorité opposa que la perte serait sans conséquence, puisqu’il existait d’autres colonies de braillards, qui suffiraient amplement à renouveler la race. Quant aux exterminateurs, pour cette nuit et cette nuit seulement, ils se reposeraient dans Santa Soledad, avant d’aller accomplir ailleurs la tâche sanitaire. La tumeur esthétique, éradiquée ici, n’allait-elle pas réapparaître en d’autres villes, avec une subversive spontanéité, comme une poussée de champignons vénéneux, contaminant des communautés sérieuses et laborieuses ? Non, décidément, il eût été inhumain, même s’agissant de rapaces, d’expulser ceux qui leur avaient rendu cet insigne service. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Quant à cette grotesque fantasmagorie d’artistes réincarnés sous forme de volatiles, nul ne pouvait plus y croire. Comment expliquer que des oiseaux srunaturels se fussent laissés si facilement détruire ? N’eussent-ils pas dû bénéficier d’une protection divine ? Ces arguments parurent si raisonnables que la plupart des gens s’alignèrent sur le plus conformiste des avis. Enfin, les travailleurs dormirent profondément, sans remords ni cauchemars, sans somnifères ni boulettes de cire dans le conduit auditif, sur l’oreille droite ou sur la gauche, selon le côté qui leur était habituel, puisque dormir sur ses deux oreilles n’est qu’une expression stupide. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le lendemain, personne ne comprit quel motif, en apparence plus fort que l’instinct, conduisit les rapaces à installer leurs aires ou nids dans les arbres et sur les toits, comme si leur séjour parmi les humains devait se prolonger. De nomades invités, les oiseaux carnivores désiraient-ils donc vraiment se muer en résidents de la ville ? Leur immense et sauvage appétit se contenterait-il des souris et mulots qui trottinaient dans le Parc ct les jardins ? Quant aux rats, proies plus dodues, ils ne montraient guère les moustaches avant le crépuscule. Dans le dédale des égouts, ils avaient organisé leur empire et, sagement, s’y cantonnaient. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Songeur, vaguement désorienté, Angel Pesar de la Cruz observa le phénomène depuis les fenêtres de l’archevêché. Monseigneur était troublé, chose qui ne lui était pas habituelle. Sa vie durant, la Foi, la seule véritable, avait éclairé son chemin. Rarement, le doute l’avait effleuré, au cours de sa jeunesse, mais il avait su vite écarter ces ombres portées sur la lumière de la Grâce. L’obscurcissement n’avait été que très partiel et bref. L’ambition d’Angel Pesar de la Cruz n’était pas personnelle, mais apostolique. Elle concernait l’humanité, quelle que fût sa couleur, son sexe ou son âge. Lui-même se considérait comme le serviteur, que seule l’humble fidélité pouvait distinguer. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Or, la vue des rapaces élisant domicile à Santa Soledad, même si de façon temporaire, cela contredisait les bases même de sa vie. Le Seigneur n’avait-il pas ordonné les choses de telle manière que les animaux sauvages vivraient dans la nature, et les hommes dans les villes ? Même provisoire, le séjour des rapaces à Santa Soledad rompait, pire : violait l’ordre naturel. Oui, les hommes avaient voulu cette infraction et cette rupture, parce que l’intérêt momentané leur avait dicté cette conduite paradoxale. Le libre arbitre en avait décidé ainsi. Honnêtement, lucidement, l’archevêque s’avoua qu’il ne s’était pas opposé à l’idée d’Augusto Valle y Monte. Le contagieux enthousiasme avait gagné tous les membres du Comité d’Assainissement Public, et Monseigneur s’était laissé emporter par ce courant, qui n’était pas moins torrentueux que celui du Rio Sangriento. Le prélat se reprocha l’excessive hâte de la réunion, hâte que seule pouvait justifier l’excessive fatigue. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les folles paroles de Domingo Malaespina résonnaient encore pour lui, colportées par les échos sous la haute voûte de la cathédrale Santa Trinidad de los Castigos, comme si chaque pilier les projetait jusqu’au pilier suivant. Paroles de la folie, indiscutablement, discours nourri de délire, mais comment ne pas éprouver du malaise à voir se réaliser l’un des tableaux de la prophétie ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Oui, les Maztayakaw revenaient à Santa Soledad. Leurs hallucinations avaietn parlé, à travers la personne du jeune prêtre homosexuel et probablement pédophile. Penser les deux termes cliniques tourmentait Monseigneur. Ces mots n’appartenaient pas à son vocabulaire courant que, par exemple, « prolétariat » et « lutte des classes », car il se méfiait autant du freudisme que du marxisme. Cependant, les honteux, les déshonorants substantifs s’imposaient, en ces circonstances. Adoucir l’expression eût été sordide hypocrisie. Par écrit, dans le rapport adressé au Saint Siège, des circonlocutions étaient préférables, mais la pensée n’était lisible que pour Dieu. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Oui, la terrible et terrifiante prophétie des Maztayakaw, qu’étudiait cet écrivain étranger, ce Mark Mywords, Monseigneur avait voulu la mieux connaître. Lui aussi était descendu dans les sous-sols de la si peu littéraire bibliothèque de Santa Soledad ; Luis Papelero en personne l’avait accompagné, avec un photographe professionnel. De chaque tablette, ils avaient pris un cliché, dont le photographe avait réalisé des agrandissements. L’archevêque n’avait qu’une connaissance très sommaire de la langue, qui n’était pas moins morte que le peuple. La bibliothèque lui avait prêté l’unique exemplaire de dictionnaire Maztayakaw qu’elle possédait, ceci en vertu d’une faveur spéciale concédée à la personne de Monseigneur. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Même le dictionnaire ne compense pas ma méconnaissance de la langue, pensa-t-il » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les traductions existantes se contredisaient mutuellement sur des points qui n’étaient pas de menus détails. Comment séparer l’exactitude de l’approximation, voire de la déformation, commise sciemment ou non ? Angel Pesar de la Cruz finit par penser : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Cela me répugne, mais je commence à me demander si je ne devrais pas solliciter l’aide de cet écrivain, qui semble particulièrement ferré sur ce sujet. L’homme est un mécréant, agnostique ou pire encore, proche de l’animisme ou favorable au retour à des cultes solaires, mais à qui d’autre puis-je m’adresser ? Ni à l’archevêché, ni ailleurs dans la ville, je ne trouverai une personne aussi compétente. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Angel Pesar de la Cruz appela son nouveau secrétaire, un prêtre d’âge moyen, bedonnant et presque chauve, à propos duqeul il avait reçu toutes les assurances possibles de conduite chrétienne. Dans une vie de prélat, un scandale suffit. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Monseigneur dicta la lettre, puis ordonna qu’un factotum la portât immédiatement chez les Casagrande. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « De plus, il vit en concubinage avec cette violoniste. S’ils doivent demeurer ici, et si nous nous voyons plusieurs fois pour la traduction, il faudra que j’aborde le sujet avec lui. Régulariser leur situation ne leur nuirait pas, au contraire. Oui, la régulariser aux yeux des hommes, mais, beaucoup plus encore : la sanctifier, sous le regard de Dieu. »</span></p>
lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html'0 Évasiontag:yannlepuits.hautetfort.com,2022-08-01:63945562022-08-01T15:43:11+02:002022-08-01T15:43:11+02:00 40 Evasions ...
<p align="center"><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">40<sup> </sup>Evasions</span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 18.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 18.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">« La délégation est revenue du royaume des rapaces. Je l’ai appris par mon ancienne voisine, Isabel Amapola, qui souffre comme nous de mal et peu dormir, puisque les oiseaux n’arrêtent plus de chanter, ni le jour, ni la nuit. Qualifier ce phénomène de « surnaturel » n’est, décidément, pas exagéré. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La danseuse de flamenco a revu son amant, Domingo Malaespina. Le prêtre excommunié a réussi à s’échapper, lors du retour à Santa Soledad. Il avait pourtant promis qu’il réintègrerait sa chambre à l’hôpital, mais la tentation de la liberté a été plus forte que la parole donnée. Je ne peux l’en blâmer. A sa place, Mark ou moi-même, nous aurions agi de même. Le Dr Arturo Curatodo ne décolère pas. Cela, nous le comprenons aussi, puisqu’il a été berné. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Hector Escudo n’a certainement pas félicité ses trois employés. Lucas Obreero, Ignacio Ganatiempo et Neil Steelband font grise mine depuis que le prêtre homosexuel leur a faussé compagnie, en sortant par la porte arrière des toilettes d’une station service. Ils auraient dû flairer le stratagème. Il semblerait que Luciano Cazaladrones les a convoqués, pour leur « passer un savon ». S’il était parfumé à l’eau de rose, il devait aussi contenir les épines… </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La communauté des laborieux les rend d’avance responsables des éventuels crimes de pédophilie, que commettrait Domingo Malaespina. Pour notre part, nous ignorons si les accusations portées contre lui sont réellement fondées. Que se passait-il, dans la sacristie ? Et dans les camps de louveteaux, dont il s’occupait ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le fuyard est introuvable. La police est allée fouiller l’appartement d’Isabel Amapola. Ils l’ont aussi mise en garde à vue, pendant vingt-quatre heures, dans la même cellule que des truands notoires, afin de l’humilier.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Ils m’ont fait subir toutes sortes d’affronts, m’a confié la danseuse. Je suis sortie de là complètement écoeurée, mais ils n’ont rien pu prouver contre moi. Je ne savais même pas que Domingo voulait s’échapper. Je ne l’ai pas revu depuis qu’il cavale. Non, je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où il peut se cacher. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Même si l’évasion fait couler beaucoup trop de salive, cela n’est pas l’essentiel. Depuis le début de la crise d’insomnie, les esprits s’échauffent vite et pour peu de chose. On nous présenterait bientôt Domingo Malaespina comme l’ennemi public numéro 1 ! </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La principale nouvelle est que Steve Birdwatcher a réussi l’ambassade auprès des rapaces. En résumé, voci ce que « l’interprète clochard ornithologue » a réussi à négocier. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les rapaces se sont engagés à n’agir que de façon pacifique et dissuasive. Parmi les laborieux, une minorité sceptique doute de la parole des prédateurs : a-on jamais vu l’un de ces seigneurs de la mort abandonner le terrain sans livrer bataille ? La minorité, nous dit Mark, sera toujours et partout synonyme de « fauteurs de dissidence ». Il n’a pas tort. L’attitude habituelle de la majorité consiste à ne pas écouter la parole de la minorité. Pourquoi le ferait-elle, puisqu’elle a mathématiquement raison ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Voilà le nœud de la plus pernicieuse des aliénations, ajoute Mark. Nous subissons la loi des nombres. Le principe même de démocratie est dévoyé : l’audimat, le volume des applaudissements, le nombre d’appels téléphoniques, tels sont les critères de popularité. Si l’amuseur ou la chanteuse l’emportent de l’une de ces façons sur leurs concurrents, comme symboliquement portés en triomphe, ils seront nécessairement meilleurs que tous les autres. La supercherie peut être totale, la « belle gueule » ne cache peut-être que le vide d’un esprit en friches, qu’importe ? Seule compte l’apparence. Les média prétendent nous en nourrir. Le mensonge médiatique agit sur la pensée comme la nourriture de la plus basse qualité dans le corps : non seulement, il ne nourrit pas la pensée, mais l’étouffe ou l’empoisonne. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Nous, les cinq survivants de la Edad del Sol, partageons ces doutes des laborieux sceptiques. Recourir aux soins militaires de l’étranger, voilà une dangereuse thérapie, à laquelle des peuples imprudents eurent quelquefois recours, et dont l’effet le plus fréquent était d’occire le malade. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les membres du phalanstère sous sa forme réduite s’étaient résignés à dormir avec, dans les conduits des oreilles, de ces petites boules de cire destinées à empêcher la pénétration du bruit, comme le rocher placé à l’entrée de la caverne interdit l’accès des profondeurs à la lumière. Avec une dévotion accrue, les deux couples se livraient aux charmes passionnels de l’amour et cherchaient le sommeil dans la lassitude post érotique. Le doux remède souvent fut efficace. Les œuvres en florissaient </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">d’autant. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Petrov Moskoravin allait chercher dans les bars fréquentés par les dames publiques le soulagement génital que lui refusait sa solitude. Il revoyait Isabel Amapola danser avec l’impétuosité de la gitane qu’il n’était pas, mais, depuis l’internement et la fuite de son seul et véritable amour, la danseuse avait perdu de la brillance. Son sourire s’était terni, sa cadence avait faibli, l’artificialité de son élégance était plus manifeste et plus criarde. Avant la délégation, le travesti avait cherché par quels moyens il pourrait faire s’évader l’élu de son cœur de femme ratée. Maintenant que le prédicateur maudit se cachait dans Santa Soledad, Isabel Amapola n’avait même plus la consolation de le voir un peu tous les jours, comme lorsqu’elle lui rendait visite à l’hôpital. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le jeune prêtre athlétique était-il ou non fou ? Isabel ne se posait pas même la question. Il fallait qu’il le fût, pour l’aimer au point d’accepter l’horrible, la terrible perspective de la damnation, mais l’essentiel n’était pas là. Que deux êtres aussi totalement différents fussent amants, </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">cela s’appelait «</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">miracle ». Rien ni personne ne pouvait leur ôter cette grâce. Même sous sa forme la plus honteuse, la plus définitivement proscrite, l’amour transfigure et sanctifie ceux qu’il pénètre et investit. Les sociétés codifient l’amour, le normalisent, lui imposent certains chenaux plutôt que d’autres, mais l’amour se rebelle toujours. L’ampleur de la vie dépasse et surpasse la mesquinerie des lois. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Depuis que son amie violoniste avait conquis Mark Mywords, et réciproquement, Petrov Moskoravin s’était aperçu qu’il aimait la trop belle Elena Mirasol, mais qu’il n’avait jamais voulu en convenir, car la personne qu’il aimait par-dessus tout, c’était sa liberté. Que n’aurait-il donné pour la sacrifier, retracer la route en sens inverse et gagner la musicienne avant l’arrivée du prestigieux écrivain ? Etaient-ils encore libres, dans cette ville de Santa Soledad, où, réduits à n’être plus qu’une ethnie en voie d’extinction, les laborieux les considéraient comme des raretés, ou comme des antiquités que l’on exposerait dans le musée, sous de poussiéreuses vitrines. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Dans les bordels, Petrov cherchait uniquement des femmes dont l’aspect physique ne lui rappellerait en rien l’inaccessible Elena. Petrov s’était prescrit le pire des remèdes contre l’amour, qui se nomme « fornication ». L’amour le démangeait, comme les tiques tourmentent le sanglier, en s’inscrustant sous son cuir. Tel le sauvage animal, le compositeur se roulait dans la boue. Les bains de luxure calmaient quelque peu l’extrême irritation de son désir, mais l’inflammation du cœur était inentamée. Surtout, Petrov se demandait combien de temps Mark allait supporter l’atmosphère hostile à l’art de Santa Soledad, quand il repartirait, et si la musicienne avec lui s’en irait. Si le malheur définitif devait lui échoir, demeurer plus longtemps à Santa Soledad n’aurait plus de sens. Mieux vaudrait fuir, tenter encore et toujours de forcer l’aventure hors du ventre du destin, comme l’obstétricien use du forceps, ou même pratique la césarienne, afin d’amener le nourrisson aux aveuglantes vertus de la lumière. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p>
lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html37 La délégationtag:yannlepuits.hautetfort.com,2022-07-27:63939162022-07-27T11:08:41+02:002022-07-27T11:08:41+02:00 39 La délégation ...
<p align="center"><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">39 La délégation</span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Etait-il écrit que, afin de fournir une plus riche matière au roman à rédiger, le destin de Santa Soledad m’offrirait la gamme de tous les paradoxes ? Le chamboulement auquel j’assiste me laisse pantois, mais, avant que d’être écrivain, je suis journaliste. Il me faut donc décrire et analyser le plus exactement possible ce que j’observe dans cette ville où, en dépit de mes premières impressions, je me sens de plus en plus chez moi, parce que nous plongeons vers les profondeurs de l’étrangeté. Or, s’il est un domaine où l’homme d’imagination peut et doit se sentir chez lui, c’est bien celui-là. La réalité fournit les matériaux, lesquels sont soumis à des règles apparemment logiques et rationnelles. L’imaginaire bouleverse tout cela, il mélange les cartes, redistribue les rôles, perturbe l’ordonnance qui nous paraissait intouchable. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Venous en aux faits. Le dénommé Steve Birdwatcher (est-ce son véritable nom ? Je l’ignore.) a déclaré que, afin d’obtenir l’aide des rapaces, il faudrait aller quérir « ces seigneurs en leur fief », le Castillo de los Aguilas, et plus précisément jusqu’au pied du Torreon de los Tormentas. Comme les hommes, prétend-il, les rapaces ont développé une hiérarchie, mais leur civilisation, plus primitive que la nôtre, aurait conservé les rapports d’inféodation, où suzerains et vassaux tiennent respectueusement leurs places. Des citoyens ignorants de ces règles, droits de préséance et privilèges, pourraient froisser l’orgueil des condors et des alérions, les maîtres du ciel. Un tel risque ne doit pas être encouru, car le conflit avec les seigneurs ailés comporterait de grands risques pour Santa Soledad. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Quelques semaines plus tôt, de tels discours eussent valu, à celle ou celui qui les aurait commis, l’internement immédiat dans le service psychiatrique de l’hôpital. Le brusque agrandissement du gouffre, l’engloutissent des artistes, le retour des oiseaux, leur comportement surnaturel et l’insomnie, enfin l’usage et l’abus de neuroleptiques, ont tant débilité les gens que leurs facultés mentales, en particulier le discernement et le jugement, sont dangereusement faussées. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La réalisation de l’ambassade exigera quelques moyens matériels et financiers , mais la dépense ne grèvera pas le budget municipal. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> S’avancer seul dans ces territoires inhospitaliers n’est pas exempt de risques. Donc, il sera préférable que l’interprète soit accompagné de deux ou trois hommes robustes, armés en prévision d’attaques fondant depuis les hauteurs, même si les dites attaques paraissent fort improbables. Les rapaces n’ont pas, affirme-t-il, le tempérament belliqueux trop souvent décrit dans des légendes dénuées de fondements scientifiques. Le pire des prédateurs, a-t-il continué, c’est l’homme, et, plus particulièrement, la variété nommée « bandit » ou « brigand ». Si j’en crois l’ornithologue interprète et clochard, les forbans forment des bandes, qui rôdent sur les hauts plateaux, dans le voisinage des villes. Malheur au randonneur ou voyageur solitaire et sans armes qui croise leur chemin ! Alors que les rapaces ne tuent que pour se nourrir, les tueurs à l’apparence humaine se plaisent à torturer leurs prises, avant de les égorger. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> C’était la première fois que j’entendais parler de pareils agissements aux environs de Santa Soledad. La chose était-elle inventée, n’était-ce que l’un de ces contes imaginés pour faire courir le frisson d’horreur, qui nous rend la sécurité du foyer si chère ? Lorsque nous sommes allés randonner jusqu’au Torreon de las Tormentas, personne ne m’a parlé de ces brigands. Que signifie cela ? Je me suis dit que, lorsque je verrai Luciano Cazaladrones ou Felipe Carabiniero, je leur demanderai ce qu’ils en pensent. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">« Ouais, a marmonné le Commissaire, tandis que la goguenardise tordait ses lèvres. Je n’affirmerai pas que cela ne s’est jamais produit, mais ce loufoque exagère. Fort heureusement, les abords de Santa Soledad sont généralement très sûrs, pas vrai Felipe ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Vous avez raison, chef. Nous y veillons. Et, lorsque nous apercevons quelques uns de ces malfaiteurs, nous appliquons la consigne de sécurité maximale. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> J’ai voulu savoir en quoi consistait la dite consigne. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Oh, c’est très simple pour qui sait bien viser, bien tirer, a grommelé Luciano. Si le criminel est du menu fretin, tirer dans les jambes, pour l’immobiliser ; si c’est un assassin professionnel, viser la tête, ou le cœur, ou les deux. Dans tous les cas, tirer d’abord, poser les questions ensuite. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - C’est ce que je fais, patron. Pas la peine d’encombrer les prisons de récidivistes. Ça permet d’économiser l’argent des contribualbles. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Nous appelons ça des « frappes chirurgicales », Mr Mywords. Que feriez-vous, si l’un de vos membres était gangrené ? Vous vous feriez amputé, n’est-ce pas ? Voilà comment il faut agir avec la racaille. De toute façon, si nous ne tirions pas les premiers, eux ne se gêneraient pas pour nous descendre. Le devoir et l’instinct de survie ne font plus qu’un. Les honnêtes gens gagnent sur toute la ligne. Qui s’en plaindra ? »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Je leur ai objecté que je trouve la méthode un peu trop expéditive à mon goût, mais ils se sont esclaffés. Le Commissaire a lancé une claque amicale et supérieurement hiérarchique sur le dos de l’inspecteur, et celui-ci a souri complaisamment à celui-là. J’ai saisi que les arguments juridiques les laisseraient insensibles, aussi me suis-je tu. Ces deux-là restent fidèles à l’idéal d’efficacité de Santa Soledad. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Officiellement, comme les autorités ne veulent pas reconnaître l’existence de bandes armées, l’organisation paramilitaire de la petite équipée sera présentée comme suit, dans la gazette locale : </span></p><p><em><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « L’escorte et les armes ne seront que des précautions généralement recommandées, à ces hauteurs, et dans ces solitudes. Il ne faut pas y voir l’effet d’un quelconque alarmisme. »</span></em><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> C’est du moins ce que m’a dit Felipe Carabiniero, qui lui-même tient cela de sa femme, Aurora. La phrase lui a été dictée par Augusto Valle y Monte en personne. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’expédition ne durera pas plus de deux ou trois jours. Il suffira de s’approcher le plus possible, en automobile, de la piste qui mène au plateau, puis de là, marcher en direction du Torreon de los Tormentas. Deux tentes, des sacs de couchage, un réchaud à gaz et quelques provisions de bouche satisferont aux besoins. (…) </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le Comité d’Assainissement Public a cherché des volontaires. Trois hommes ont proposé leurs services, spontanément et rapidement : Neil Steelband, Ignacio Ganatiempo et Lucas Obrero. Tous les trois sont membres actifs d’une association de tireurs amateurs, qui ne prennent pas pour cibles les suspects comme s’ingénient à le faire des policiers, mais ils possédent des armes à feu légères et précises, ainsi que le matériel nécessaire pour bivouaquer sur la hauteur, glaciale la nuit, du Castillo de los Aguilas. Hormis des émoluments qui seront versés à la personne de Birdwatcher, clochard interprète du langage des oiseaux, la Municipalité n’aura pas à défrayer la délégation. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ces conditions étaient acceptables, parfaitement raisonnables, mais la dernière l’a été beaucoup moins. Steve Birdwacher a voulu que l’on libére Domingo Malaespina. L’homme est fou, il ne le conteste pas, mais il est inspiré, précisément parce que c’est un dément. Sa folie prophétique et visionnaire lui permettrait, plus facilement qu’à d’autres, d’entrer en relation avec les rapaces. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « J’ai besoin de Malaespina, sans lui je ne partirai pas, car le souffle de l’univers passe par lui. Je connais les voies de la technique, tandis que son esprit est illuminé par la Voix. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le Comité d’Assainissement Public n’a cédé qu’à contrecoeur à l’exigence étrangement formulée, mais nous avons avancé d’un long pas dans le royaume de l’étrangeté, dont j’ai déjà parlé. Qui sait où cela s’arrêtera ? Si toutefois cela s’arrête un jour… </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p>
lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html38 La décisiobntag:yannlepuits.hautetfort.com,2022-07-11:63914372022-07-11T11:32:24+02:002022-07-11T11:32:24+02:00 38 La décision Le loqueteux fut introduit...
<p align="center"><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">38 La décision</span></p><p><span style="font-size: 60.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 18.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">Le loqueteux fut introduit dans la Salle du Conseil. Le fumet de crasse et d’alcool que dégageait sa personne incommoda fortement les narines raffinées de ces dames et messieurs, mais la coupe était servie, donc ils la boiraient jusqu’à la lie. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> En dépit de sa proverbiale urbanité, Augusto Valle y Monte n’offrit pas de siège au visiteur intempestif. Le sourcil froncé, l’œil sévère, il ordonna : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Nous vous écoutons, M. Birdwatcher, mais soyez bref et précis, car nous n’avons pas de temps à perdre en bavardages. Si vous avez une idée pour clore cet interminable concert, dites-la nous vite ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Steve Birdwatcher avait ôté son galurin, une sorte de galette grise et trouée, qui avait été neuve dix ans plus tôt. Déférent, il le serrait entre ses deux mains, les deux bras tombant, si bien que la chose crasseuse et pouilleuse formait un cercle devant sa braguette. Le reste de l’accoutrement s’accordait à l’objet, qui méritait si peu le nom de « chapeau » : veste aux coudes rapiécés, informe pantalon aux coutures malades d’usure, chaussures aux semelles si éculées qu’une feuille de papier à cigarette aurait pu les remplacer. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les dames sortirent des flacons de parfums, répandirent des senteurs dont elles imbibèrent leurs mouchoirs. A l’abri de ces légers paravents, elles attendirent la fin de l’épreuve. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Monsieur le Maire, j’étudie les oiseaux depuis quatre décennies. Ce sont des êtres aux âmes délicates. Contre eux, il ne faut pas employer la force. Non, Mesdames, Messieurs. Nous devons dialoguer avec les oiseaux. Leur vie vaut bien la nôtre. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Et comment allons-nous dialoguer avec ces enquiquineurs, gouailla William Quickbuck. Allez-vous prétendre que vous les comprenez ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Non seulement, je les comprends, Monsieur, mais je parle leurs différents dialectes. C’est pourquoi je viens vous offrir mes services d’interprète, afin de résoudre ce conflit de voisinage. Le pire serait la violence. Il nous faut trouver une issue pacifique. Déjà, le gouffre a dévoré le phalanstère. Prenons garde à ne pas enchaîner les catastrophes. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Sur les visages se lisait tout, sauf l’approbation. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Ce mec est complètement ravagé, hurla Luciano Cazaladrones. Monsieur le Maire, un mot de vous, et je le fais éjecter comme un malpropre qu’il est, car, porter les mains sur lui, je ne le ferai pas moi-même ! Je ne veux pas me les salir ! </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Calmez-vous, Commissaire, et modérez votre langage devant les dames. Il y a des mots qui puent, et, ma foi, l’idée ne me parait pas stupide du tout. Si réellement il est capable de comprendre ce que jargonnent les emplumés, puis de l’interpréter pour nous en langage humain, je crois qu’il ne faut pas refuser son intercession. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Dans la salle, le silence appuya sa main, étouffa paroles et bruits. Voilà que Monsieur le Maire commençait de délirer ! </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Je vois que vous êtes consternés. Vous pensez que je suis en train de perdre la tête, n’est-ce pas ? Je vous réponds : jusqu’à présent, quelles solutions avons-nous trouvées ? Aucune, il me semble. Que proposez-vous ? Rien. Vous êtes trop abattus pour avoir les idées claires. Enfin, aux situations exceptionnelles, solutions exceptionnelles. Tout vaut mieux que l’immobilisme. Vous n’ignorez pas que je favorise la concertation. L’autorité ne doit recourir à la force que dans les cas d’extrême entêtement, lorsque la mauvaise volonté a été prouvée. Steve Birdwatcher, au nom du Comité d’Assainissement Public, j’agrée votre suggestion, mais, avant toute autre chose, vous allez passer aux douches municipales, et au service social. Mme Carabiniero vous donnera un bon pour des vêtements gratuits. Soyez prêt dans une heure. Vous pouvez disposer. Merci à vous. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’ornithologue s’inclina, remercia le Maire, et sortit, en tenant le galurin derrière lui, si bien qu’il cachait les fesses, que la toile trop usée du froc eût laissé voir. Cette preuve de bonne éducation lui valut les suffrages féminins. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ce fut ainsi que le vagabond mit ses compétences d’interprète au service de la communauté des Laborieux. Derechef, Augusto Valle y Monte ressortit sur le balcon, annonça qu’une négociation allait être entreprise avec l’aide d’un spécialiste de premier rang. A n’en pas douter, les fauteurs d’insomnie comprendraient la gravité de leurs méfaits. Une seule séance de palabres allait tout arranger. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’élu ventripotent tint parole : il alla conjurer le peuple ailé de ménager ses voisins de race humaine, de respecter le repos, si péniblement mérité au prix du long labeur, et, pour cela, de modérer ses ardeurs musicales. L’expert en communication aviaire traduisit très exactement les propos du Maire. Par centaines, par milliers, en nuées multicolores, les oiseaux s’assemblèrent à l’appel de leur ami bipède. Comme les dialectes et les patois, parmi les oiseaux, varient autant que les espèces, la traduction exigea beaucoup de temps et de patience. Poliment, les oiseaux écoutèrent les objurgations ; tantôt, ils penchaient la tête à droite, tantôt à gauche, comme pour mieux comprendre le sens du discours. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> A peine le parlementaire eut-il achevé sa supplique, aussitôt se déclencha le tohu-bohu ! Roucoulements, gazouillis, roulades, trilles, sifflements et piaillements de se précipiter, se mêler, s’élancer, se percuter, rebondir, cascader ! Ça battait et claquait des ailes ! Tels bouquets de plumes, cela fusa, plana, virevolta, en tous sens tourbillonna et plongea ! </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’intercesseur annonça, triomphalement, que les chanteurs avaient décidé de se conformer à la discipline municipale. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La nuit suivante fut, pour les citadins, beaucoup plus qu’un soulagement ; ce fut un délice, car l’impeccable silence, dès le crépuscule, s’installa dans les arbres, sur les toits et même dans le Parc. Les dormeurs éprouvèrent une authentique reconnaissance envers leurs invités. Enfin, ils pourraient de nouveau se reposer, au lieu de subir aubades, sérénades et nocturnes, ce perpétuel concert intempestif que personne n’avait demandé ! </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Hélas, l’on sait que chasser le naturel ne sert qu’à le ramener à tire-d’aile ! Aussi, l’armistice, considéré par certains comme une accalmie dans une guerre d’usure des nerfs, ne dura-t-elle qu’une semaine. A partir de la huitième nuit, la situation redevint si insupportable que des demandes de congés rendus nécessaires à cause de dépressions nerveuses s’empilèrent de façon pyramidale sur les bureaux des psychiatres, donnant à ces derniers une tâche pharaonique. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Même les plus sereins des laborieux souffraient de ce mal qui n’est peut-être pas une maladie, mais dont la persistance peut favoriser la morbide, la débilitante et la putride procession des maux et des infirmités. Les salles d’attente des médecins ne désemplissaient plus, les pharmacies devinrent les plus fréquentés des commerces, les réserves d’anxiolytiques, de tranquilisants et de somnifères furent vite épuisées, comme les forces de celles et ceux qui brusquement s’étaient muès en autant d’adeptes de la pilule soporifique. On commanda d’urgence des milliers de boîtes, chargées de rêves potentiels, de sommeil sans interruption, de repos sous la forme de conserves… Les livraisons tardèrent à venir. Tout allait le plus mal possible dans le pire des mondes, du moins le croyait-on. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le cerveau fort embrumé, soit par l’insomnie, soit par les médicaments chargés de l’annuler, les laborieux perdirent une grande part de leur efficacité. La somnolence, la vigilance relâchée, la difficulté à fixer l’attention et se concentrer, tous ces parasites de l’activité salariée causèrent bien plus d’erreurs et de contretemps que n’en avaient habituellement provoqués la maladresse ou la distraction des artistes. Même les plus consciencieux des travailleurs déploraient leur brusque manque d’efficacité. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le Comité des Dormeurs Epuisés rédigea une pétition qu’il déposa dans les bureaux de la Mairie. Voici quels en furent les termes : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Nous, citoyens laborieux de la bonne ville de Santa Soledad, déclarons sans ambages que la Municipalité doit impérativement agir avec la plus grande fermeté contre les empêcheurs de dormir, sur le dos, sur le ventre ou sur le côté, enroulé en fœtus ou non. La manie musicale et lyrique transforme nos nuits en cauchemars éveillés. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> A cet effet, nous prions instamment Monsieur le Maire, Augusto Valle y Monte, démocratiquement élu, confirmé dans ses fonctions depuis vingt-cinq ans, de solliciter l’aide et l’intervention des rapaces, les cousins mais aussi les ennemis naturels des moineaux piailleurs qui gâchent nos nuits. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Notre but n’est pas la destruction des oiseaux, utiles dans la chasse aux mouches et autres bestioles volantes et piquantes, mais de les intimider, de les obliger à retourner construire leurs nids en dehors de nos murs. Peut-être aussi trouveront-ils ailleurs des villes plus mélomanes que la nôtre. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Si les autorités ne prennent pas les mesures qui s’imposent, il est à craindre que les citoyens n’aillent chercher les armes nécessaires pour la défense du repos, dans l’usine de M. Hector Escudo. Nous apprendrons à tirer, et cela pourrait se terminer par un massacre. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Avec l’expression de notre plus profond respect, veuillez agréer, Monsieur Le Maire, etc… »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Des gens plus prudents, tel Pedro Hazacan et Luis Papelero, qualifiés de « timorés » par les plus intransigeants, tels William et Jane Quickbuck, objectèrent que les prédateurs ne se contenteraient peut-être pas d’effaroucher leurs proies potentielles. Non, ils allaient commettre un carnage définitif et ne laisseraient sur le champ de bataille que monceaux de plumes ensanglantées. Certes, il ne s’agissait que de volubiles volatiles, mais le fait que l’ornithologue interprète, ce Mr Birdwatcher, (même s’il exerçait la futile profession de clochard) ait pu communiquer avec eux conférait aux fauteurs d’insomnie une dignité qui, jusqu’alors, leur avait manqué. Bizarrement, avec eux, le lien était devenu pensable et réalisable. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Si massacre il y avait, et si le vent soulevait les plumes, ces preuves lourdes de tant de légèreté jusqu’aux étoiles, prenant à témoin le cosmos, les laborieux effaceraient-ils jamais le crime de complicité ? Déjà, n’avaient-ils pas à se reprocher une part de responsabilité dans la disparition des artistes ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> On rejeta ces craintes avec dédain et leurs propagateurs furent taxés de pusillanimité, tandis que d’autres, plus retors que la majorité, jubilaient en espérant une issue meurtrière.</span></p><p align="center"><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p align="center"><span style="font-size: 22.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p align="center"><span style="font-size: 22.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p>
lepuitshttp://yannlepuits.hautetfort.com/about.html37 L"insomnietag:yannlepuits.hautetfort.com,2022-07-02:63898722022-07-02T10:58:16+02:002022-07-02T10:58:16+02:00 37 L’insomnie ...
<p align="center"><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;">37 L’insomnie</span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 14.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Vint la deuxième nuit. La rémission tant espérée ne fut pas accordée. De nouveau, l’indésirable, l’abominable musique emplit jusqu’aux ses plus intimes recoins de Santa Soledad. Personne ne put se soustraire au chant qui, telle une fontaine mélodique, éclaboussait le ciel noir où les étoiles se mêlèrent aux rutilantes coulées qui, sans faiblir, jaillissaient des gosiers chauds et vibrants. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Cette situation d’insomnie forcée perdura, sans que l’on aperçût de solution. Les esprits s’échauffèrent, et, à mesure que la fatigue tailladait les muscles, rompait les articulations et abrutissait les cerveaux, les ultimes traces de patience disparurent. C’était une vue pitoyable que ces misérables aux visages grisâtres, aux yeux décolorés, soulignés de poches vineuses, comme si quelque poison s’était insinué sous la peau, amorçant le désastre physiologique aux incalculables effets, qui minerait les organismes avant l’assaut fatal de la maladie. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Nous dormons tous mal, très peu, d’un sommeil entrecoupé, qui ne nous apporte pas le repos souhaité. Même Mark, si calme d’habitude, est devenu nerveux. Il n’arrive plus à se concentrer, les mots lui échappent, il se sent la tête vide et cotonneuse. Même au lit, nous avons moins d’ardeur. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les salles d’attente de médecins s’emplissent de gens qui, tous, réclament des somnifères. Jamais auparavant il n’en avait été autant prescrits, à Santa Soledad. Dans les pharmacies, les files d’attente s’allongent, et l’on voit des personnes, habituellement patientes et courtoises, devenir désagréables, agressives, surtout lorsque la pharmacienne leur annonce que le stock de somnifères est épuisé. Les réserves existantes n’étaient pas prévues pour une demande aussi élevée. Les pharmacies ont passé des commandes d’urgence, mais il n’y aura pas d’arrivage avant quelques jours, peut-être une semaine. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Même Elena, que je n’avais jamais vue en colère, se met à crier pour des peccadilles. Quelques nuits blanches suffisent à perturber les plus sereins des tempéraments. Ceci étant dit, chacun s’efforce, le mieux qu’il le peut, de se contrôler pour ne pas dire ou faire des sottises, qui blesseraient les autres, chose qu’ensuite nous regretterions. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Parfois, même sans somnifères, le sommeil redevient le plus fort. Il nous emporte, le jour comme la nuit, pour quelques heures. C’est un flot noir, lourd, épais, semblable à du goudron liquide et brûlant. Nos rêves sont affreusement tourmentés. Les images qui nous obsèdent alors nous donnent le désir de nous réveiller. Très angoissés, nous fuyons les cauchemars, mais, faisant cela, nous quittons l’asile du sommeil et nous nous enfonçons de nouveau dans le marécage de la fatigue. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Quant aux oiseaux, il semble que jamais ils ne se lasseront de chanter, comme s’ils possédaient une inépuisable énergie, ou comme s’ils étaient habités par une force surnaturelle. Leur acharnement musical nie les lois connues, à tel point que l’esprit s’arrête, confondu en présence d’un mystère dont l’ampleur fait éclater les bornes du possible. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Epuisement et incompréhension pèsent beaucoup plus sur le plateau négatif de la balance que, sur le positif, les plaisirs auditifs et visuels procurés par l’arc-en-ciel des chants et des plumages. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Personnellement, j’ai pour l’heure présente remisé le roman. Il attendra des jours plus favorables à la création. Je me contente de noter ce que j’observe, ce qui se passe dans cette ville de plus en plus paradoxale. La comprendrai-je jamais ? »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Quelques citadins, probablement les plus faibles ou ceux dont le rationalisme était le moins solidement assis, émirent une thèse selon laquelle ces chanteurs n’avaient que l’apparence d’oiseaux. En fait, les artistes se seraient réincarnés sous une forme qui eût comblé leur passion pour l’esthétique.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Têtes molles », voilà comment Luciano Cazaladrones les avait nommés. William Quickbuck ainsi qu’Hecor Escudo avaient réemployé l’image, avec une visible délectation. Le Commissaire était sans égal, lorsqu’il s’agissait de ridiculiser l’inadaptation. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Aggravant leur cas, les hurluberlus ajoutèrent que le concert ininterrompu constituait la vengeance de ces « démons », qui avaient juré d’abattre la société. Parmi les loufoques, Domingo Malaespina, toujours pensionnaire du service psychiatrique placé sous la haute surveillance du Dr Arturo Curatodo, délirait ainsi, grotesque à souhait, pour le relatif amusement des infirmiers, qui pourtant avaient déjà entendu dix mille sortes de sornettes.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Puis, les nuits blanches succédant aux nuits sans sommeil, les points de vue se modifièrent. La fatigue usa les tempéraments, brouilla les jugements, affaiblit le discernement, si bien que les absurdités qui, en temps ordinaire, eussent fait sourire les citoyens raisonnables, finirent par sembler plausibles et même parfois convaincantes. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Dans les rues situées à proximité du Parc, où nichait la majorité des perturbateurs, la gêne était plus aigue qu’ailleurs. Des résidents prirent l’initiative de créer un comité de défense, qu’ils appelèrent « Comité des dormeurs épuisés », surnommé par les langues perfides « Syndicat des mauvais coucheurs ». La réaction violente de l’ingénieur Neil Steelband et du technicien Ignacio Ganatiempo, si elle avait paru folle la première nuit, voire dangereuse pour les voisins, fut saluée comme un acte de bravoure, qui montrait à tous le chemin à suivre. La nouvelle association menaça de se constituer en milice, qui récompenserait de balles et chevrotines les chorales nocturnes. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La menace avait peu de chances de se réaliser, car les amateurs d’armes à feu n’étaient qu’une minorité dans Santa Soledad, qui préférait vendre ces objets dangereux à des pays étrangers, plutôt que d’en risquer la prolifération dans ses paisibles quartiers. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Il y avait un second problème. Si l’on ne pouvait reprocher à ces indésirables invités de ne payer ni taxes, ni loyers, l’on se devait de constater qu’ils souillaient, sans vergogne, toits et façades de leurs déjections jaunâtres. Il n’était pas rare non plus qu’un passant se sentît arrosé de fientes, parce que l’un de ces malpropres avait décidé de soulager ses boyaux, à ce moment et cet endroit, sans se préoccuper de savoir s’il allait agrémenter une veste, une robe ou même une chevelure d’une décoration superflue, ce qui, surtout pour des esprits réincarnés, manquait d’élégance et de raffinement. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Finalement, si les oiseaux persistaient à priver leurs hôtes du repos si durement gagné, ne faudrait-il pas les refouler vers des zones plus champêtres, où l’engeance maniaque de mélodies vivrait plus heureuse, dans des conditions plus appropriées à ses habitudes ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Augusto Valle y Monte convoqua le Comité d’Assainissement Public. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Mesdames, Messieurs, commença Monsieur le Maire, vous savez tous quelle urgence nous force à nous réunir aujourd’hui. Nous ne saurions tolérer que l’insomnie devienne une plaie chronique. L’article ZYWX-QK- 38150 du règlement de vie communale stipule que le tapage nocturne est une infraction et que les contrevenants seront sévèrement punis, d’abord sous la forme d’amendes, ensuite par l’emprisonnement, mais nous ne sommes pas en présence d’humains, avec lesquels il serait possible de dialoguer. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Sur le plan pharmaceutique, la crise est au paroxysme. Jamais auparavant le besoin de neuroleptiques n’avait été aussi criant. Que dis-je, « besoin » ! C’est la pénurie que nous traversons. Je vous le demande, quelles sont vos propositions ? Comment pouvons-nous agir, efficacement et vite, pour que cela cesse et que les bras de Morphée puissent de nouveau nous bercer ? » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Autour de la table, les mines étaient froissées, grises ou jaunâtres, les paupières boursouflées, les lèvres s’écartaient en d’irrépressibles bâillements, au total la réflexion était devenue difficile, ardue, tant les neurones étaient engourdis. D’humeur professionnellement belliqueuse, Hector Escudo se lança dans la bataille :</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Monsieur le Maire, en ma qualité de fabricant d’armes, je mets tout mon arsenal à la disposition de la Municipalité pour exterminer ces empêcheurs de dormir ! Aujourd’hui, je vous ai amenés deux de mes collaborateurs, Neil Armstrong et Ignacio Ganatiempo. Ils sont d’excellents tireurs et pourraient, en peu de temps, éliminer tant de ces chanteurs impénitents que les rescapés prendraient la fuite à tire- d’aile. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Je suis désolé de devoir vous contredire, cher ami, annonça Luis Papelero, que sa chevaline épouse autorisait à prononcer deux ou trois paroles, mais j’aperçois un risque inhérent à votre suggestion. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Ah, oui ? Lequel, s’il vous plaît, s’enquit Hector Escudo, le sourcil froncé, guère habitué qu’il était à ce que l’on s’opposât à ses idées.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Je ne doute pas des qualités de tireurs de ces deux messieurs (disant cela, Luis Papelero inclina la tête en direction de l’ingénieur et du technicien) mais, outre que la riposte me semble disproportionnée, le risque de victimes humaines n’est pas exclu. Une balle se perd plus vite qu’elle ne trouve la cible, mais, sur sa trajectoire, elle peut rencontrer un être humain. Notre ville est généralement paisible. Gardons-nous de la transformer en une scène pour films de Peaux Rouges et de gardiens de vaches. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Très juste, l’approuva Guiseppe Mascara, dont le visage avait tant pâli qu’il se distinguait à peine de sa chevelure blanche, la violence n’est pas la réponse adaptée. D’accord, nous sommes victimes d’une sorte d’agression, mais l’usage du feu ne me paraîtrait indiqué qu’en dernier recours. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Alors, que diable proposez-vous donc, grommela Luciano Cazaladrones ? Ça ne peut pas durer pendant des semaines et des mois, tout de même ! </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Voilà le nœud du problème, indiqua Angel Pesar de la Cruz. Dans ses œuvres, le Seigneur n’avait pas prévu que les oiseaux chanteraient jour et nuit, sans jamais dormir. Cela n’est pas naturel. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Voulez-vous dire, Monseigneur, que le phénomène est surnaturel, le questionna Luis Papelero, malgré le regard lourd d’avertissements, comme le ciel peut l’être d’orages de sa peu tendre épouse. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - L’habit que je porte m’oblige à la prudence, lorsqu’il s’agit d’employer ce terme, nuança l’archevêque, mais ne trouvez-vous pas qu’il y a matière à s’interroger ? » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Que la suprême autorité cléricale commençât d’évoquer l’hypothèse d’événements surnaturels ne pouvait en aucune façon redonner aux notables la sérénité que les nuits d’insomnie leur avaient ôtée. Il y eut, pendant quelques secondes, le silence gêné qui prévaut, lorsqu’une personne respectable et respectée vient de proférer une impropriété. Des regards inquiets furent échangés. Monseigneur n’allait tout de même pas suivre le chemin délirant de son acolyte, désormais interné ?</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Qu’entendez-vous par là, Monseigneur, lui demanda Augusto Valle y Monte, tandis que tremblotait frénétiquement le triple menton, devenu l’attribut distinctif de l’auguste fonction de Maire. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Je ne suis pas ornithologue, et peut-être aucun de nous ne l’est, mais sans avoir des connaissances approfondies des oiseaux, nous savons tous que des oiseaux normaux dorment la nuit, comme nous autres humains, à l’exception des rapaces nocturnes bien sûr. Le comportement de ces perpétuels chanteurs n’avait jamais été observé dans notre ville, ni certainement ailleurs. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’il est anormal, si vous répugnez à le qualifier de « surnaturel », mais réfléchissez bien à cela : si nous comprenons l’adjectif au sens premier, il nous dira « qui ne suit pas les règles de la nature ». Qu’en dites-vous, Monsieur le Conservateur et Monsieur le Président de l’Université ? » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les deux interpellés se consultèrent du regard, pour savoir lequel des deux répondrait le premier. Sous la table, le pied robustement chaussé d’Alejandra Papelero intima douloureusement à son soliveau de mari qu’il valait mieux qu’il se tût. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Allez y, mon cher ami, l’invita courtoisement Guiseppe Mascara, vous êtes plus que moi maître des mots. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Pas du tout, mon cher, je vous en prie, la préséance vous revient… euh… naturellement ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Ce retour du mot « nature » divertit la sinistre assemblée. Même Alejandra Papelero permit à sa gaieté froide de s’exprimer, sous la forme d’un hennissement spasmodique, dont l’effet le plus visible était de lui secouer les épaules, comme si le rire était parti des omoplates et des clavicules. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> A l’opposé, celui dont le rire avait des qualités gigantesques, c’était William Quickbuck : l’envahissante flaccidité du propriétaire du supermarché déclenchait alors des cascades tonitruantes, dignes de comparaison avec les chutes de Niagara. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le contraste entre ces deux pôles du rire, l’un presque étranglé, poussif et maladif, et l’autre claironnant, patronal et majestueux, déverrouilla toutes les formes de l’amusement et de l’hilarité, chacun finissant par se divertir à la vue des visages soudainement transfigurés par l’intense exercice des muscles zygomatiques. Même Monseigneur Aangel Pesar de la Cruz, digne archevêque de la bonne ville de Santa Soledad, daigna laisser paraître, sur sa noble face d’ecclésiastique, le sourire indulgent du bon père, lorsque sa maisonnée vacille de joie. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Puisque vous y tenez, je ne vais pas faire attendre plus longtemps nos amis, annonça Guiseppe Mascara, qui n’était pas sans savoir que Luis Papelero ne parlait qu’autorisé par sa peu tendre moitié, laquelle physiquement présentait une masse osseuse et charnelle double de celle de l’homme. Oui, Monseigneur, je comprends parfaitement votre point de vue. Cette affaire n’est pas ordinaire du tout. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Monsieur le Président de l’Université purement et durement technologique n’avait pas la réputation d’être l’un de ces farceurs ou songe-creux qui saupoudrent la réalité de sorcellerie. Non, Guiseppe Mascara se distinguait au contraire par l’affirmation et la pratique d’un rationalisme immaculé. Certes, l’expression qu’il avait choisie pour qualifier le retour des oiseaux et leur chant perpétuel apportait un adoucissement rassurant, mais l’euphémisme n’était-il pas autre chose que l’approbation prudemment voilée de l’adjectif « surnaturel » ? Si l’une des plus belles têtes universitaires et pensantes de Santa Soledad désertait lâchement le parti de la raison et de l’objectivité, sur quelle pente traîtreusement savonneuse étions-nous en train de glisser ? William Quickbuck partit à la contre-attaque :</span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « - Guiseppe Mascara, vous m’inquiétez. Nous sommes tous fatigués. Les propos que je viens d’entendre confirment, s’il en était besoin, que nous devons au plus vite sortir de… cette volière ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Un nouvel accès d’hilarité collective parcourut l’aréopage et traça, d’une personne à l’autre, le friselis contrasté de ses gammes. Monseigneur approuva la gaieté d’un sourire complaisant, mais Augusto Valle y Monte rappela sa troupe au nécessaire sérieux : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Mes amis, mes amis, je vous en prie, je comprends que vous ayez besoin de vous détendre, mais sachons garder la tête froide et tâchons d’élaborer ensemble la tactique pour sortir de cette crise aviaire. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Alors que le Comité d’Assainissement Public délibérait, une manifestation de dormeurs insomniaques se dirigeait vers l’Hôtel de Ville. En tête du cortège, deux hommes brandissaient une banderole portant l’inscription suivante : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Les chanteurs à la porte ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les femmes et les enfants s’étaient munis de casseroles et de louches, les secondes servant à marteler les premières à intervalles irréguliers. Le vacarme naissait sur le flanc droit du serpent humain, se répercutait sur le côté gauche, filait vers la tête, de là zigzaguait jusqu’à la queue, se taisait là où il avait commencé, imprévisible comme l’humeur des manifestants. Parfois, des cris de haine jaillissaient de ci, de là, lancés vers le ciel comme des flèches empoissonnées : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « A mort, à mort les oiseaux ! Tuez les tous ! Des armes, nous voulons des armes ! Et des munitions ! Qu’on en finisse ! Dormir, nous voulons dormir ! Interdisez le chant ! A mort, à mort les volatiles ! Le Maire, nous voulons voir le Maire ! »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Les manifestants s’arrêtèrent sous les fenêtres de la salle du Conseil. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Cette manifestation est-elle autorisée, demanda Eleneora Mascara. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Mais oui, madame, l’assura Luciano Cazaladrones. Croyez-vous que j’aurais permis qu’elle continue, si elle avait été interdite ? » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> On frappa à la porte. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Entrez, permit le Maire. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Aurora Carabiniero poussa le battant, pénétra dans la salle du Conseil et se dirigea vers le patron du lieu. Devant elle, avec elle, autour d’elle, dans le sillage de sa robe, entra le parfum qui signalait sa présence ostensiblement féminine, à tel point que, pour ceux chez qui l’odorat n’était pas le dernier des cinq sens, l’approche d’Aurora était détectable à ce seul signal. Si vous ajoutiez à cela le claquement affairé, affûté, de ses talons, le flottement et le froufrou de sa tenue vestimentaire, même vue de dos, la mince et l’élégante silhouette était aussitôt identifiable comme celle de Mme Carabiniero, l’appétissante mais fidèle épouse de l’inspecteur. Felipe se trouvait là, près de son supérieur hiérarchique à la canine allure. Le mari admira, pour la énième fois de sa vie, la beauté innocemment provocante de celle qui lui était aussi chère que la prunelle de ses yeux. Les regards d’excellente appréciation des hommes présents le flattèrent au plus profond de la personnalité masculine, la fatuité, l’un des défauts les mieux partagés du monde. Même Monseigneur ne parut pas insensible au charme de la secrétaire. Une étincelle pétilla dans son regard, d’habitude parfaitement sous l’impitoyable contrôle du devoir de dignité. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Madame, dit-il en se levant, permettez que je vous présente mes hommages. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Oh, Monseigneur, vous êtes trop bon, car je ne mérite pas tant d’égards. Monsieur le Maire, veuillez m’excuser pour l’interruption, mais les manifestants vous réclament. Ils veulent que vous les assuriez de votre présence aux commandes. Certains crient déjà que le navire dérive sans capitaine… Pour l’instant, la police réussit à contenir la population, mais il y a des forcenés qui voudraient envahir la Mairie. Dans les rues adjacentes, nos agents se sont battus contre des groupuscules extrémistes, des provocateurs, des casseurs et des émeutiers de tous poils. Si vous ne calmez pas la foule, le service d’ordre sera débordé. Les plus dangereux individus peuvent entrer ici dans le quart d’heure qui suit. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’avertissement glaça la réunion. Tous les regards se braquèrent en direction du cacique, mais heureusement pour l’opulente personne, aucune de ces paires d’yeux n’était devenue pistolets. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Bien, Mme Carabiniero, je vous remercie de m’avoir averti. Je vais me montrer au balcon et m’adresser à nos administrés. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Aurora sortit de la Salle du Conseil, entraînant derrière elle la majeure partie de son parfum, mais en laissa suffisamment flotter autour de la table pour donner ce brin d’ivresse qui permet, un court moment, d’oublier jusqu’au danger. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Commissaire, je ne comprends pas ce qui se passe . Vous m’aviez assuré que le service d’ordre serait infaillible. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - J’en suis désolé, Monsieur le Maire, s’aplatit Cazaladrones, qui s’apparenta davantage au basset qu’au bouledogue, mais toutes les informations nécessaires ne m’ont certainement pas été communiquées, sinon j’aurais agi avec encore plus de fermeté. Voulez-vous que je donne l’ordre de lancer le gaz lacrymogène, d’abattre les matraques et de lâcher les chiens démuselés ? </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Non, attendez que j’intervienne d’abord. Si mon allocution ne les rassérène pas, il sera toujours temps d’user de vos subtils arguments. » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> La rumeur, les clameurs, le tumulte en pleine culbute, les protestations de la passion, les menaces pugnaces et les dures injures, tout cela s’élevait jusqu’aux fenêtres de la salle aux vastes dimensions, haute de plafond, longue à souhait, large à plaisir, puisqu’elle contenait tant de considérables personnages. Vraiment, pour Augusto Valle y Monte, Maire démocratiquement élu de la laborieuse ville de Santa Soledad, il était temps de se montrer. Courageusement, le Maire ouvrit la porte-fenêtre, sortit sur le balcon, où son officielle bedaine condescendit à s’exposer à l’admiration de ses administrés. De la main gauche, Augusto s’appuya sur la balustrade de faux marbre, tandis qu’il élevait la droite, paume tournée vers la foule, à la hauteur de son visage, pour intimer le calme. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Peu à peu, le silence gagna les groupes, se propagea, se répandit comme un philtre apaisant, à telle enseigne que, même dans les gorges des plus virulents braillards, la clameur se cailla. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le ventre doué de parole s’exprima en termes rassurants à la foule des plaignants : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Mes chères électrices, mes chers électeurs, le Comité d’Assainissement Public a bien entendu la requête populaire, dont nous ne pouvons pas ne pas reconnaître le bien-fondé, puisque nous subissons la même gêne que vous. Nous nous accordons tous pour affirmer que cette situation d’insomnie chronique est intolérable et deviendrait, si elle devait se prolonger, préjudiciable à notre communauté de travailleurs. Nous allons réagir avec la plus grande vigueur, je vous le promets. »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> A ce point, qu’il ne voulait pas final, Augusto Valle y Monte voit un homme de grande taille, décharné, le nez aquilin, le crâne semblable à un œuf d’autruche, qui fend la foule ; pour cela, l’énergumène assène de droite et de gauche les coups de coudes, bouscule les uns, écrase les pieds des autres, insoucieux, irrespectueux du prochain pourtant si proche. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Laissez-moi passer, hurle-t-il, je veux parler à Monsieur le Maire, il faut absolument que je lui parle, c’est une question de mort ou de vie, de sommeil ou d’insomnie, pour vous autres, l’ethnie des Laborieux ! » </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> L’élu local se tourna vers l’équipe de réflexion pour l’action : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « Qui est ce forcené, Messieurs de la Police ? »</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> Le Commissaire et l’inspecteur se levèrent comme un seul homme, à la même seconde, malgré leurs différences de taille et de corpulence. Vers la porte-fenêtre, ils bondirent : </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> « C’est Steve Birdwatcher, Monsieur le Maire, l’ornithologue devenu clochard, qui prétend pouvoir traduire le chant des oiseaux en langage humain, expliqua Luciano Cazaladrones. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Oui, Monsieur le Maire, je l’ai surveillé durant quelques semaines. Il est toqué, mais pas dangereux. </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - A votre avis, que me veut-il ?</span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Je n’en ai pas la moindre idée, Monsieur le Maire. Je présume qu’il veut vous proposer une solution farfelue.</span></p><p><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> - Au point où nous en sommes, je suis prêt à écouter tout le monde. Qu’il entre. Nous allons le recevoir. »</span><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p align="center"><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p align="center"><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p><p align="center"><span style="font-size: 12.0pt; font-family: 'Bahnschrift',sans-serif;"> </span></p>