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03/10/2012

Résidence des Lilas Blancs, scène 1

 

Résidence des Lilas Blancs

(Extrait)

 

 

ACTE I

 

 

Scène 1

 

 Paul est assis sur le canapé. Il lit le journal.

 

Paul

 

    Encore des mauvaises nouvelles, bien sûr, toujours des mauvaises nouvelles, rien que des mauvaises nouvelles. Les journalistes croiraient-ils faillir à leur mission, s’ils nous annonçaient des choses réjouissantes ? « L’unité gouvernementale se lézarde », « Des fuites dans l’affaire des pot-de-vin ; ça sent le vinaigre ! », « La majorité parlementaire éclate », etc… et j’en passe des pires ! Enfin, il faut que je me remette au travail…  Satanée traduction de l’hébreu au sanskrit, pire qu’un casse-tête chinois, à terminer pour demain.   

 

    Il s’assied à son bureau. Devant lui, des dictionnaires. Le front plissé, il marmonne. Maud pousse la porte et entre en scène.

 

Maud

 

  Bonsoir, Paul ! Mince, tu as encore apporté du travail ! Quand est-ce que ce maudit patron te fichera la paix ?

 

Paul

    (Se lève pour l’accueillir ; ils se bécotent sur les joues).

   

     Lorsque je serai mort d’épuisement, mais ce n’est pas sûr ! Il serait capable de vouloir me tirer de la tombe, pour m’extorquer des traductions. Que veux-tu, lui-même est un bourreau de travail et il exige la même capacité de ses collaborateurs. Ce n’est pas un mauvais bougre, mais pour la force, c’est un bœuf, sauf que lui, je présume, est entier. Il est infatigable. Je n’arrive même pas à lui en vouloir.

 

Maud

  (Enlève son manteau et l’accroche).

     

    Je me demande pourquoi tu ne lui flanques pas ton préavis. Tu devrais chercher un autre boulot, plus peinard, tu ne crois pas ?

 

    Ils s’asseyent sur le canapé. Paul passe le bras autour du cou de Maud, qui pose sa tête sur l’épaule de l’homme.

 

Paul

 

    Oui, tu as raison, ma chérie, mais les places ne courent pas les rues.

Maud

 

    Avec l’expérience que tu as, tu pourrais facilement te faire embaucher ailleurs, surtout en cette période de rentrée. Ne m’as-tu pas dit que les entreprises embauchent plus volontiers à l’automne qu’en été ?  Ce sale type t’exploite de manière  éhontée.

 

Paul

    (Se lève, lui tourne le dos,  s’éloigne un peu et regarde la salle).

   

     Maud, tu es gentille, mais tu me répètes ça presque tous les soirs. Si je ne me remue pas, c’est que je ne suis pas encore trop las de cette situation. Lorsque j’en aurai vraiment assez, j’ouvrirai mon propre bureau. Voilà l’idéal : être le patron. Ce serait un nouveau démarrage.

 

   (Maud se lève et s’approche de Paul. Elle l’embrasse avec passion).

 

Paul

    (Se détache à regret).

 

    Ah, Maud, tu sais toujours me mettre sens dessus dessous. Est-ce que tu verserais des philtres d’amour dans le vin ? Comment veux-tu que je me concentre sur ma traduction, maintenant ? Pour le coup, ça sera vraiment de l’Hébreu !  

 

Maud

    (Elle le prend par la main et le ramène vers le canapé).     

   

    Si je te trouble encore, après dix ans de vie commune, je ne m’estime pas malheureuse ; nous en voyons tant d’autres se séparer au bout de cinq ans, ou même moins.  (Passe les bras autour du cou de Paul). Tu ferais mieux de te reposer davantage, mon chéri. Je te vois travailler trop. Tu finiras par te ruiner la santé, si tu continues à ce train-là. Crois-en ton infirmière de femme.

 

Paul

 

    Peut-être que je travaille trop, comme tu le dis, mais tu sais que ma profession compte beaucoup pour moi. En dehors de la traduction, je n’ai qu’une passion, une seule, et c’est toi.

 

Maud

 

    Mon petit loup, tu sais parler aux femmes, mais j’espère que tu ne dis ces belles choses qu’à ta biche !

 

Paul

 

      Toi, tu prêches le faux pour savoir le vrai. Comme disait feu mon père à feu ma mère, lorsqu’il rentrait tard et qu’elle exprimait des soupçons : « Comment veux-tu que je te trompe avec une autre ? Je travaille toute la journée ! Je n’ai pas le temps de courir le guilledou ! »

 

Maud

    (L’écarte, l’air fâché).

    Voilà qui me plaît moins. C’est une réponse de mufle.

Paul

 

    Non, de plaisantin plutôt, car mon père aimait blaguer. Quel dommage que tu ne l’aies pas connu ! Je suis sûr que vous vous seriez bien entendus. Quant à ma mère, cordon bleu comme elle l’était, vous auriez échangé des recettes.

 

Maud

 

    Hélas, ainsi va la vie. Nos parents ont prématurément disparu. Les accidents et les maladies incurables tuent tant de personnes avant l’heure. Les gens parlent toujours de meilleure longévité, comme s’ils voulaient oublier  la foule des malheureux qui devancent l’appel.

 

    (Instant de silence. Puis, Maud prend les mains de Paul).

 

Maud

 

    Allons, nous ne devons pas sombrer dans la nostalgie. Préparons plutôt le repas. Après le dîner, nous écouterons de la musique et lirons, avant d’aller nous câliner, mon amour.

09:28 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

12/06/2012

Le limogeage (Scène 2)

vExtrait de la pièce Le limogeage

 

 

Scène 2

 

    Tous les professeurs arrivent, à l’exception de Marc Le Roc.

 

Sœur Amélie

 

    Ah, bonjour, Mme Dupont ! Bonjour, Mme Durand ! Bonjour, M. Duval ! Comme je suis contente de vous revoir, après la longue parenthèse estivale !

 

Les trois autres

 

    Bonjour, ma sœur ! Comment allez-vous ? Et comment se porte la communauté ?

 

    Les deux femmes s’assoient, cherchent leur courrier sur la table, tandis que l’homme s’exerce à la gymnastique.

 

Sœur Amélie

 

    Très bien, et vous-mêmes ? Avez-vous passé de bonnes vacances ? Vous sentez-vous reposés, prêts à instruire nos chères têtes brunes ?

 

Gisèle Durand

 

    Ma foi, oui, même si le théorème de Pythagore et le carré de l’hypoténuse en effrayent plus d’un. 

 

Mélanie Dupont

 

    Par contre, si tu leur parlais de la reproduction des mammifères, ils seraient très intéressés, n’est-ce pas ?

 

Sœur Amélie

 

    Mme Dupont, vous savez que l’Eglise réprouve catégoriquement l’enseignement de choses aussi basses, aussi crues. De telles notions ne serviraient qu’à inciter nos ouailles à s’engager dans la voie sans retour du péché.

 

Patrick Duval

 

    Voyons, ma sœur, comment voulez-vous que nous leur cachions la vérité ? Ces petits paysans voient couramment les animaux s’accoupler. Les histoires de filles qui naissent dans les roses et les garçons dans les choux sont bonnes à reléguer dans le musée des antiquités.

 

    Moue désapprobatrice de la Sœur. Mines amusées des deux femmes. 

 

Mélanie Dupont

 

    Mon souci, une fois de plus, sera de faire comprendre les mystères de la déclinaison allemande et les arcanes de la conjugaison espagnole, ce qui est beaucoup demander, dans ces campagnes reculées.

 

Sœur Amélie

 

    Ayez confiance en Dieu, ma chère Mélanie. Si vous priez avec ferveur, Il vous inspirera, vous soufflera les mots qui sauront parler à nos élèves.

 

 

 

 

09:20 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

15/04/2012

Salle d'attente (extrait)

Salle d’attente (extrait)

 

 

 

Acte 3, Scène 1

    

    Court interlude, pendant lequel chacun retombe dans le piège des occupations. La Schlingue claironne son retour, au moyen de rots bruyants. Tous lèvent les yeux, éberlués.

 

La Schlingue :

Ma douce chopine,

C'est  ma vraie copine,

Le brave litron,

Mon compagnon,

Le blanc sec,

Mon bifteck,

Ma rouge boisson,

Ma seule raison,

Mon p'etit chez-moi,

Par ici, par là,

Sans l'ombre d'un toit !

Vos foutus horaires

Me flanquent des glaires !

Vot'sale fric

Vous étrique !

Parlez-moi pas d'travail !

Quand gueulera le glas,

Ch’créverai su' la paille,

Vous su'vos mat'las !

Le véritable boulot

Sera pour les asticots !

Vot'bidoche et la mienne

En s'ront pleines !

Merde aux bourgeois !

Vive les filles de joie !

En avant l'anarchie !

Tout pour la poésie !

 

L’employé : La Shlingue ! Tu m’avais promis de rester sur le quai jusqu'à ce que je t'appelle !

           

La Schlingue : J'm’enquiquinais, là-bas, tout seulâbre !

           

L’employé : Fous le camp, sale clodo, sac à vin !

           

La Schlingue : Ta gueule! J'ai ben le droit d'être dans c'te taule !

           

Bonita : Quel grossier personnage !

 

    La Schlingue s'affale sur un siège.

           

Noktar : Eh, vous, le mal rasé, où vous croyez-vous ?

 

La Schlingue : C'est-y à mézigue qu'tu jactes, mon pote ?

           

Sygne : Sa syntaxe et son  lexique  fleurent bon le pittoresque !

Noktar : De quel droit me tutoyer-vous ?

           

La Schlingue : S'cuez-moi, Votre Excellence ! Je l'ref’rai pus !

           

Noktar : En entrant ici, vous avez éructé ! Cette salle d'attente n'est pas une porcherie !

           

La Schlingue : Kwâ qu'j'ai fait, moi ?

           

Noktar : Roté, pour parler votre langage ! Vous ne vous en souvenez déjà plus ?

           

La Schlingue : Chais pas... C'est si naturel d’roter... J'rote et j’pète comm'j'respire, sans y penser !

           

Dertin : Vous arrive-t-il de penser, mon brave ?

           

Bonita : Quelle absence totale d’éducation !

 

    Le postérieur de La Schlingue émet une explosion nettement audible.

           

La Schlingue : Je pète, donc je suis !

           

    Les dames poussent des cris outragés. Noktar se tourne vers Sygne.

           

Noktar : M. Sygne, voilà un homme avec qui vous pourrez entretenir de fructueux échanges philosophiques, pendant notre attente de durée... indéterminée.

Sygne : Plaît-il, M. Noktar. ?

           

Noktar : Monsieur... le péteur ou le pétomane, révélez-nous votre identité !

           

La Schlingue : La Schlingue, l'homme qui s’ lave jamais !

           

Noktar : Merci pour cette odorante précision. M. La Schlingue vient de nous prouver, en citant Descartes, qu'il est un homme cultivé !

           

Sygne : Il m'a plutôt semblé que la pensée du philosophe était légèrement déformée, voire très librement interprétée par M. La Schlingue.

           

    La Schlingue sort de son havresac l’arsenal traditionnel du casse-croûte populaire. D'une de ses poches, il extrait un couteau et un tire-bouchon, débouche la bouteille et boit directement au goulot, puis présente le biberon aux voyageurs.

           

La Schlingue : Boirez ben un p'tit coup ?

           

Bonita : Non, merci, M. La Schlingue. Je n’aime pas le vin rouge. De temps à autre, je bois une vodka orange, c’est tout.

           

Dertin : Ma maladie m'interdit toute boisson alcoolisée.

           

La Schlingue : Zêtes patraque, vous, la vioque ? Zavez plutôt une tronche à enterrer vos mioches ! Ces messieurs vont ben trinquer avec moi ?

           

Noktar : Je ne bois que du whisky écossais, à la nuit tombée.

           

La Schlingue : Ben, mon gars ! T'as les tripes en acier et l'bidon en béton ! C'est pour les bagnoles, c'carburant !

           

Noktar : Je vous ai déjà dit de ne pas me tutoyer ! Combien de fois faudra-t-il que je le répète ?

           

La Schlingue : J'vous d'mande ben pardon, Votr’Altesse ! Eh, vous, le barbu, sifflerez ben un p'tit coup de rouquin ?

 

Sygne : L'ingestion d'alcool nuirait à mon activité.

           

La Schlingue : Zêtes actif, vous ? Z'en avez pas l'air !

           

Sygne : Direz-vous que la pensée et l'écriture sont des activités négligeables ?

           

La Schlingue : Sûrement pas ! C'est pour ça que j'bosse pas !

           

Dertin : Nous nous doutions que vous aviez quelque répugnance pour le travail.

           

Noktar : A moins que ce ne soit le travail qui répugne à s'approcher de lui.

           

La Schlingue : J'peux pas m'creuser l'cigare et turbiner en même temps. Quand on trime, on a toujours un con d'chef su'l'dos, ké payé ren ka vous faire chier.

           

Sygne : La sociologie de cet homme ne manque pas de bon sens.

           

Dertin : Ce sont les idées d'un  être asociable !

           

La Schlingue : Zêtes allée pointer, vous, la tubarde, pendant des piges ?

           

Dertin : Non. Feu mon époux gagnait l’argent du foyer. Il avait la fierté des hommes de sa génération, qui ne voulaient pas que leurs épouses travaillassent.

           

La Schlingue : Ben alors, pourquoi qu'vous voulez qu'j'aille me cr‘ver le cul au boulot ?

           

Sygne : Qu'on le déplore ou non, ce qu'il dit est très juste. A quoi servent les hiérarchies, sinon à planter en chacun de nous cette conviction, que sans elles nous ne serions rien ?

           

Dertin : Seriez-vous anarchiste, M. Sygne ?

           

Sygne : Pas plus que vous, quand vous recevez votre feuille d'impôt !

Noktar : Vous travaillez certainement, M. Sygne. Comment pouvez-vous tenir de tels propos ?

           

Sygne : La vie quotidienne n'est qu'un cauchemar que nous faisons mine de supporter, M. Noktar.

           

Dertin : Quel métier peut-on exercer, lorsque l’on professe de pareilles opinions ?

           

Sygne : Nulle ne l'est. Mais que vous importe comment je gagne ma vie ?

           

Dertin : M. Sygne, je ne prétends pas être  philosophe, mais j'essaye de comprendre le monde. Vous me déroutez. Vous nous dévoilez la piste d'une énigme, puis vous refusez d'en dire plus. Ce n'est pas très gentil.

           

Sygne : Je vous répondrai, puisque vous y tenez. Je suis Inspecteur dans une Administration.

           

Dertin : C'est choquant ! Comment pouvez-vous concilier vie professionnelle et convictions ?

           

Sygne : Je ne désirais pas vous choquer, Mme Dertin, mais vous surprendre me ravit.

 

 

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