Luc Pontivy, le poète et son œuvre
« Luc Pontivy, le poète et son œuvre »
(Titre choisi par les organisateurs)
A l’Université François Rabelais, mercredi 4 juin 1986
Article complet: Luc Pontivy, le poète et son œuvre.pdf
I Préambule
Avant d’aborder de front le thème, qui sert de prétexte à la conférence, j’aimerais, et je vous dois cela, déblayer le terrain, si toutefois la chose est possible, de quelques difficultés. Les unes ressortent de la méthode, les autres de l’éthique.
Le motif initial et véritable de cette présentation de « l’œuvre » par l’auteur lui-même est le projet de publication de mon recueil « Paraboles », chose que devrait réaliser l’Université François Rabelais. La conférence à laquelle vous allez assister, ou que vous allez subir, est l’une des conditions sine quo non de cette publication.
Si donc je parais devant vous ce soir, pour parler de ce que nous nommerons provisoirement, faute d’un mot plus juste, et moins prétentieux, « mon œuvre », c’est pour satisfaire ce que Paul Valéry a très justement nommé « la vanité de l’écrivain. » Si, après cela, je décide de me taire pour… quelque temps, personne ne croira surprendre dans ce silence un effet de ma modestie, mais plutôt de mon orgueil. Ecoutons, si vous le voulez bien, Paul Valéry :
« Les quantités comparées de vanité ou d’orgueil qui sont impliquées dans une œuvre sont des grandeurs caractéristiques, que les chimistes de la critique ne doivent jamais cesser de rechercher. Elles ne sont jamais nulles. » (1)
« Grandeurs caractéristiques », ces mots sont en italique dans le texte, Développant un peu plus loin sa réflexion, Paul Valéry expose comme suit le sempiternel conflit de ces deux puissances :
« Comment se tirer de cette contrariété de deux instincts capitaux de l’intelligence ? L’un nous excite à solliciter, à forcer, à séduire les esprits au hasard. L’autre jalousement nous rappelle à notre solitude et étrangeté irréductibles. L’un nous pousse à paraître et l’autre nous anime à être, et à nous confirmer dans l’être. C’est un conflit entre ce qu’il y a de trop humain dans l’homme et ce qui n’a rien d’humain et ne se sent point de semblable. » (2)
(1) et (2) dans « Variétés », de Paul Valéry, P. 198, 199 et 2OO, collection « Idées », chez Gallimard.
Je ne prétendrai pas échapper à cette fatalité de la création littéraire. Sachant cela, le projet même d’une présentation de soi…par soi-même devient éminemment suspect. Comment éviterais-je que cette « conférence » ne ressemble sinistrement à une apologie de ses écrits par l’auteur en personne ? Cela constituerait, pour le moins, une faute de goût. Peut-être certaines personnes seraient-elles tentées de fuir. Elles n’auraient pas tort d’agir ainsi, mais, étant donné la maigre affluence que suscite ma si peu médiatique personne, je ne parlerais bientôt plus qu’aux murs… ou dans le désert.
Laissons même de côté la quasi impossibilité d’une analyse clairement formulable, dans ces conditions. Elle est trop évidente pour que je m’y attarde.
La question se pose donc en ces termes : que puis-je faire ? Je voudrais vous présenter, comme lorsque l’on met face à face deux personnes inconnues l’une de l’autre, mes recueils, déjà autoédités.
Pourquoi ceux-là plutôt que mes manuscrits encore inédits ? D’abord pour une raison pratique : l’auditrice et l’auditeur pourront, s’ils le désirent après la conférence, se transformer en lectrice et lecteur, si ma vanité littéraire ne les a pas définitivement rebutés. Ainsi vérifieront-ils ce que j’aurai affirmé, à propos de tel ou tel texte.
La seconde raison de ce choix implique en fait la première : si j’ai décidé de m’autoéditer, c’est parce que les manuscrits, ou, comme le veut le jargon de l’écrivain moderne, les « tapuscrits », m’avaient paru suffisamment achevés pour être lisibles.
Sur ce point, nous nous heurtons de nouveau à une difficulté majeure. Toute décision de publication doit normalement dépendre de la formulation d’un jugement de valeur, au sujet des « tapuscritts. » L’auteur/éditeur est à la fois juge et partie. Je demeure donc seul responsable de ce jugement, et de l’acte qui le concrétise.
En d’autres termes, nous revenons à la case de départ : l’improbable hypothèse de l’autocritique réaliste, sans parler du fait que l’autocritique est une pratique stalinienne. Néanmoins, comment appellerons-nous ce travail de lecture et relecture, ces hésitations, ces choix, ces élagages, ces développements inattendus, enfin tous ces découpages, collages et recoupements, qui tissent et brodent le texte ? Il ne me semble pas abusif de parler de critique opérationnelle, par opposition à la critique post-opérationnelle, laquelle a pour fonction d’évaluer le texte, sous sa forme « définitive ».
C’est dire que, tout écrit considéré, même s’il présente les apparences de la cohérence et de l’unité, n’est jamais qu’une mosaïque plus ou moins réussie. La conférence elle-même se voudra une illustration de la chose. Finalement, je ne poursuivrai pas davantage, du moins pour aujourd’hui, l’entreprise de suspicion que j’ai amorcée, car je pressens, qu’au bout de ce chemin douteux, je ne trouve que le néant : l’impossibilité d’être à soi-même son propre conférencier.
Puisque nous voilà tous embarqués dans une même galère et pour une … « croisière » destinée à durer une heure trente, moins les minutes consacrées à ce déjà trop long préambule, je vous propose le contrat suivant : essayons de tirer ensemble, d’une situation épineuse, des enseignements positifs, pour vous, auditeurs et futurs lecteurs éventuels, et pour moi, l’auteur conférencier. Un temps sera réservé à vos questions, que je vous invite à noter par écrit, au cours de mon intervention. Un débat pourra donc s’instaurer, duquel jaillira peut-être quelque lueur.
J’essayerai de limiter mon propos au schéma suivant : me placer d’abord d’un point de vue général pour parler de mon projet littéraire, de ses rapports avec ma vie, de mes motivations. J’aborderai ensuite une seconde série de généralités, sur l’ensemble de mes recueils autoédités, desquels je tenterai de dégager les traits communs. Puis je présenterai mes livres individuellement, dans l’ordre chronologique de conception, d’abord sous l’angle de la thématique, puis sous celui de la structure. Lorsque cela sera possible, j’analyserai les rapports qu’entretiennent thématique et structure. Je donnerai quelques aperçus, quant aux procédés, ou « secrets de fabrication ».
Écrit par lepuits Lien permanent