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29/03/2012

le piège (premier épisode)

Le piège

 

(Premier épisode)

 

 

     Lorsque la navette s’arrêta dans la gare, j’étais déjà prêt à en descendre, la sangle de mon très léger bagage passée sur l’épaule, de manière à profiter pleinement des quelques heures que j’aurais à passer dans la Ville, pour y attendre ma correspondance. Le train que  j’aurais dû prendre, dans la gare principale, avait été retardé de plusieurs heures. Plutôt que de m’ennuyer dans la gare de triage, je décidai de poursuivre avec la navette, afin de voir les curiosités touristiques du centre ville.

  Mon nom est William Nightingale. Mon père était un homme d’affaires anglais, ma mère, française, enseignait sa langue à l’Université de Londres. Comme j’eus la chance d’être élevé conjointement dans les deux langues, j’appartiens à cette catégorie de gens pour lesquels deux langues n’en font qu’une seule.

    Mes parents furent tués dans un accident de la route, alors que je n’avais encore que vingt ans. Il y a quinze ans que le malheur s’est produit. Si je ne les pleure plus, je les regrette évidemment toujours. Je n‘ai ni frère, ni sœur, ni aucune autre attache familiale. Matériellement, je ne puis me plaindre. Mon père avait su gérer ses affaires et m’a laissé des sommes qui m’ont permis d’achever mes études, d’abord en Angleterre, puis en France. J’exerce le métier de journaliste, qui me rapporte d’assez substantiels revenus. Depuis quelques années, j’ai réussi à me faire connaître comme romancier.

     Je laissai mon sac de voyage à la consigne automatique. A l’office du tourisme, je me procurai un plan de la Ville.  La promenade fut agréable.  L’été de la Saint Martin battait son plein. La douceur ensoleillée contribua largement à donner de l’aménité à ma flânerie. A ces conditions météorologiques favorables s’ajouta le plaisir de la découverte de lieux nouveaux. Tout semble alors présenter une face neuve. Le monde baigne dans une lumière fraîche et vibrante, comme au jardin d’Eden.

    Les quelques habitants à qui je m’adressai, afin de m’assurer que je ne m’égarais pas, se montrèrent courtois, mais ils avaient cette forme d’amabilité hâtive, propre aux gens qu’une nécessité impérieuse pousse vers des tâches urgentes. Dans le bar où je pris un rafraîchissement, et le restaurant où je déjeunai,  les serveurs furent efficaces et déférents, mais leur visage était figé, étrangement inexpressif. De même, dans les rues, personne ne souriait ni ne riait. Je ne vis aucun de ces chanteurs, qui savent égayer l’atmosphère, en éveillant les cordes d’une guitare et lançant la ritournelle, même sous la grisaille.

    Régulièrement, je m’arrêtai pour noter mes impressions. La collecte régulière est l’un des devoirs de l’écrivain. C’est dans ce terreau que nous puisons la substance de nos histoires, vraisemblables ou non.

    Au moment du repas, j’éprouvai la sensation d’être observé. Mon tempérament ne m’incline pas à me croire espionné, aussi me dis-je que l’intuition devait être fondée.

    J’examinai les autres clients et les serveurs. Personne ne semblait à l’affût. J’en conclus que cela n’avait été qu’une illusion. Cependant, à chaque fois que je baissai les yeux vers mon assiette, et plus encore lorsque je gribouillais des notes succinctes dans le carnet à spirales posé sur la table, de nouveau je sentais ce regard qui me fouillait.

    Néanmoins, comme je ne surpris personne m’épiant, je me persuadai que le voyage m’avait un peu fatigué. Dans une ville inconnue, qui s’intéresserait à un étranger de passage, dont la tenue ne permet pas de penser, par exemple, qu’il serait une victime de choix des voleurs ? A l’inverse, sauf dans le cas d’une ressemblance avec un criminel signalé, pourquoi la police se serait-elle intéressée à moi ?

 

15:07 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)

28/03/2012

Le pas dans la nuit

Annonce : à partir de demain, jeudi 29 mars, je publierai une nouvelle en feuilleton.

Le pas dans la nuit

 

    C’était un soir, aux environs de vingt-deux heures, alors que je me trouvais assis à mon bureau, en pyjama et robe de chambre, tenue que j’affectionne après le dîner, car elle contribue à me procurer la détente propice au sommeil. Dans ces vêtements souples, le corps se relâche, les tensions musculaires s’effacent et l’esprit se met en veilleuse dans le corps alangui.

    Je m’apprêtais à lire, mais, à l’instant où ma main droite allait saisir le livre, j’entendis monter de la rue le claquement répétitif, aisément reconnaissable, que produisent des talons de chaussures féminines sur le macadam.

    Comme si une poigne invisible l’avait agrippée, ma main resta suspendue, puis retomba lentement, pour se poser à plat sur le cuir vert qui couvre le plateau de la table en merisier jaune. Aussitôt, je sus que je ne pourrais lire. Ce son, qu’il serait logique de qualifier d’anodin, provenait de très longtemps. Cela sonnait et résonnait comme un écho, dont j’ignorais l’origine. Je devinai que je ne la découvrirais qu’en écrivant. Ma main abandonna le livre.  Renonçant provisoirement au rôle de lecteur, j’endossai celui d’auteur.

    Comment la dame était habillée, je l’ignore. L’obscurité emplissait tout l’espace. Même si j’avais ouvert mes volets, je n’aurais pu la distinguer. Ce « taconeo », comme le nomme très justement la langue espagnole, m’évoqua d’anciennes impressions, lesquelles, d’abord très vagues, vite se précisèrent.

    Ce souvenir me ramena trente-cinq ans plus tôt. J’étais alors adolescent. Ma sensualité bouillonnante cherchait ses cibles. La fenêtre de ma chambre donnait sur la rue, laquelle passe derrière l’hôpital. Il devait être six heures et demie, ou sept heures. Bientôt maman me réveillerait. Le claquement sec et régulier traça dans l’encre de mon sommeil ce pointillé provocateur. Je ne saurais dire si le pas, féminin à souhait, m’arracha soit à la lumière enchanteresse d’un rêve de jouissance, soit aux tourbières du cauchemar, mais l’inconnue m’éveilla.

    Elle était en train de passer, quelques mètres plus bas. Que pouvait-elle porter ? Mon désir la voulut très féminine. Le « taconeo » semblait exclure le port du pantalon. Elle devait porter l’un de ces amples vêtements flottants, qui se balancent mystérieusement, au rythme de la marcheuse, et découvrent les mollets, ou seulement l’un d’eux si la jupe est longue et fendue sur le côté.

    Il ne me plaisait donc pas que la jupe fût étroite. Je préférai m’imaginer le doux ondoiement harmonieux, la suave hésitation de la robe. Ma pensée se fixa si fort sur la personne invisible que se produisit l’osmose de nos deux êtres. Mon esprit déserta mon corps et s’incarna en cette femme. Comme elle, je sentis le tissu flotter librement autour de mes jambes. L’air froid s’engouffra sous le jupon, que je m’empressai de lui supposer. Ainsi, nous aurions un peu plus chaud. Les dentelles souligneraient le secret doux et profond de son sexe. Dans un demi sommeil, je me donnai le plaisir que me permettait la solitude.

    Elle passa beaucoup d’autres fois. Le claquement rapide de ses talons me servit de réveille-matin. Mon attente devançait sa venue. Sans que jamais elle ne le sût, nous nous donnâmes rendez-vous. Peut-être était-elle l’une de ces infirmières de nuit, qui venait d’achever son service et rentrait chez elle se reposer.

    Aussi me présentai-je la scène suivante : elle sentirait mon désir s’infiltrer sous la robe, grimper le long de ses cuisses. Elle éprouverait  le besoin de satisfaire sans tarder sa propre libido. La dame inconnue pousserait la porte de l’immeuble et monterait l’escalier. Le fait qu’elle ne possédait pas la clef de l’appartement ne constituerait pas un obstacle. Mes parents verrouillaient soigneusement la porte, mais il suffirait que la main de ma mystérieuse maîtresse se posât sur la poignée pour que le battant cédât.

    Ma mère ne serait pas même étonnée. Elle devinerait que la visiteuse m’était destinée. Peut-être était-elle deux fois plus âgée que moi. Cela n’en serait que mieux. Avec elle je connaîtrais l’initiation amoureuse.

    Vers mon lit, l’intrépide passante chalouperait, roulerait, tanguerait, puis entre mes draps sombrerait. Ce jour-là, je n’irais pas au collège. Magicienne en délices charnels, ma geisha me transformerait en un second Radiguet. Ensuite, chaque matin, elle viendrait m’offrir son corps. Ses caresses m’électriseraient. Jeune novice, entre ses mains, je servirais de jouet. Professeur d’érotisme, elle m’instruirait sur ce qu’attendent et veulent les femmes. Je serais bon élève et j’appliquerais ses leçons. Comment le mari pourrait-il être jaloux d’un débutant ? Notre batifolage la mettrait en appétit. L’adolescent fournirait le hors-d’œuvre. Le vagin gorgé de sperme comme un fruit juteux, elle irait accomplir ses obligations et routines.

    Il va sans dire que jamais elle ne monta. La courtisane demeura sous la forme lapidaire, énigmatique, de ce bruit qui m’évoquait des froufrous affriolants. Elle continuerait de réserver l’exclusivité de ses charmes à un autre, plus légitime. A moins qu’au contraire elle n’eût pléthore d’amants. Dans le premier cas, je haïssais le rival, dans le second je détestai les rivaux. Unique ou plusieurs, ces anonymes me confisquaient l’amoureuse, et, ce faisant, me condamnaient à la solitude fébrile de ma couche.

    Chaque matin, alors que je dérivais entre sommeil et veille, avec le désir et la rage de mes quinze ans, mes doigts s’attardaient sur le gland. Lorsque le jet tiède, épais, gluant, libérait provisoirement les tensions, mes dents mordaient le drap. Mes phalanges serraient convulsivement l’extrémité cracheuse, qui semblait animée d’une volonté propre. L’acte d’hygiène physique et mentale était désespérément douloureux, car, même si je voulais croire que ma semence atteignait sa cible, l’absence de l’inconnue me torturait. Dans la nuit froide, souvent humide, parfois glaciale, le claquement hâtif de ses talons s’éloignait. Le contraste entre les jouissances imaginées, d’une part, et la pauvreté répétitive de la masturbation, d’autre part, me causait grande amertume.

    L’espérance reculait. Le clic-clac s’amenuisait, devenait difficilement perceptible, enfin inaudible. Peut-être était-elle lasse de l’amour. Si elle allait travailler, avait-elle la nuit passée livré son corps et son cœur à un amant plus fortuné que moi ? Même si je supposais qu’une fois elle daignerait m’accorder ce qu’elle me refusait, je doutais qu’elle eût la patience de m’enseigner les arcanes du plaisir.

    Longtemps, à cause de l’involontaire trahison, je resterais là, échoué sur la rive qui sépare le jour de la nuit, le désir en échec, sans la chair amie qui m’eût guéri de la morosité. Il m’arriva de penser que, dévoré par  l’insatisfaction, quelque matin j’irais à sa rencontre. Pour me protéger du froid, la dame me couvrirait de son manteau, sous l’abri duquel m’envelopperaient le parfum, les effluves affolants de sa peau, l’inimitable odeur de la féminité.

    Jamais je n’eus cette audace. Encore et encore je sacrifiai ma libido sur l’autel de l’hédonisme. Puisqu’elle n’avait pas perçu les ondes du désir, celui-ci devait manquer de force. Pour ces raisons, il m’arriva de me haïr moi-même.

    Comme j’achevais d’écrire ces mots, la même femme qu’une heure plus tôt, j’en suis convaincu, est repassée sous mes fenêtres. Elle avait le même rythme empressé. Ses souliers claquaient de manière identique. Vers quelles aventures est-elle partie ? Face au cahier d’écolier, me restent les mots.

 

 

 

 

 

 

 

 

        

27/03/2012

Manuel du misanthrope

 

Manuel du misanthrope

(extrait de Ecritures en miroirs)

 

    3    Les sinistres imbéciles qui prennent, pour animal familier, un fauve, mériteraient d’être dévorés par leur encombrante peluche, car l’initiative destructrice produirait au moins trois résultats positifs : en premier lieu, celui de soulager une fringale de la bestiole ; en second lieu, l’exécution du « maître » lui procurerait la satisfaction de la vengeance ; en troisième lieu, cela débarrasserait l’humanité d’êtres non seulement stupides, puisqu’ils ne comprennent pas que l’animal sauvage ne devrait pas quitter la Nature, mais aussi nuisibles, puisqu’ils aggravent les déséquilibres,  en soustrayant des prédateurs du système écologique, dans lequel ils éliminaient les herbivores affaiblis, malades ou trop âgés.  

 

10:44 Publié dans Essais | Lien permanent | Commentaires (0)