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08/04/2012

L'olibrius

 

L'olibrius    


     Nous nommerons celui-là « l’Olibrius », pour des raisons qui deviendront vite apparentes.

    Nous étions une demi-douzaine d’amis, plus précisément  deux couples et deux femmes célibataires, qui nous promenions dans la campagne, les deux hommes en tête, les quatre  dames nous suivant à quelques dizaines de mètres. 

    Au débouché d’un chemin boueux, sur la route peu passagère, nous accosta cet inconnu. Il voulait savoir où menait le chemin, que nous venions de quitter. Puis, aussitôt après, sans guère avoir écouté la réponse, il se mit à pérorer au sujet de la personne qui, à ses yeux, comptait le plus au monde, c’est-à-dire lui-même.

    Vous me direz qu’en cela l’Olibrius se comporta de manière normale. Je vous concéderai ce point, mais vous laisse juge de la suite :  

    - Je marche tous les jours, de trois à  cinq heures, et je parcours jusqu’à vingt-cinq kilomètres,  car voyez-vous je  m’entraîne pour la Marche des Rois, de Fondettes, une marche de vingt-cinq kilomètres, il faut bien s’y préparer, je l’ai faite l’an dernier, nous étions (chiffre élevé, que je n’ai pas retenu) et je portais un short comme aujourd’hui (mois de décembre…) et quatre dames, plus jeunes que moi, j’ai soixante-douze ans, mais je parais beaucoup plus jeune me disent beaucoup de gens, ces dames   m’ont assuré que j’avais encore de très beaux mollets, elles m’ont même demandé la permission de les toucher, je leur ai répondu d’accord, avec plaisir, mais je leur ai demandé ce qu’elles allaient me donner en échange, quelles faveurs … oh, mais vous êtes accompagnés de quatre dames ! Deux hommes pour quatre femmes…  

    - Oui, m’empressai-je de rétorquer, nous sommes musulmans, nous avons emmené ces quatre-là en promenade, mais nous en avons laissé quelques autres à la maison.

    - Ah, je vois que vous avez le sens de l’humour, comme moi. Que disais-je ? Ah, oui, nous sommes bien d’accord que la marche est essentielle à l’équilibre ! Connaissez-vous les autres conditions du bonheur ? Je vais vous les dire, si je puis me permettre, étant votre aîné. J’eus la chance de travailler trente ans avec le Professeur W, à l’hôpital K, où j’étais directeur administratif. Donc, le Professeur W, dont vous avez entendu parler, puisqu’il est mondialement connu pour ses recherches sur… (oubli de ma part)  me disait toujours : « Mon cher ami, pour garder une bonne santé, il faut se coucher et se lever à des heures très régulières, de préférence tôt ; sortir de table pas tout à fait rassasié (une avantageuse brioche précède l’Olibrius) et rester amoureux. Tous les jours, je redis à ma femme combien je l’aime et je l’embrasse passionnément !  Nous nous aimons comme au premier jour, depuis quarante ans. (Muette admiration de mon ami et de moi-même ; ferons-nous aussi bien ?) et, bien sûr, il faut beaucoup marcher ; cet exercice nettoie l’esprit, rend philosophe et joyeux (avait-il lu Nietzsche ?) et nous rapproche de la Nature (il ne prenait pas de risque d’être contredit, prêchant à des adeptes de ce sport). Ah, mais que voilà de belles dames ! Quelle chance vous avez, Messieurs ! Comme je vous envie ! Mesdames, à la Marche des Rois de Fondettes, l’an dernier, quatre jeunes femmes…

    Nos « quatre épouses » ne semblèrent pas désireuses de palper les mâles mollets de l’Olibrius. Elles rirent beaucoup, lorsque je leur appris qu’elles formeraient désormais un harem, ou cheptel féminin.  

    Nous réussîmes, fort heureusement, à nous débarrasser de ce guignol. J’avais craint qu’il nous suivît.

    Dès que nous nous fûmes un peu éloignés, l’une de « nos » femmes nous révéla qu’elle connaissait déjà l’Olibrius de vue. Il l’avait accostée, dans son quartier, et lui avait tenu des propos délirants sur sa personne, assez différents de ceux qu’il venait de débiter, entrelardés de paroles sensées, à savoir les vérités d’ordre général.

    J’en conclus que, à chaque nouvelle rencontre, il s’inventait une vie de rechange. Une chose au moins paraissait établie : comme le Don Juan de Claude Nougaro, lorsqu’il « flaire la piste fraîche du jupon », l’Olibrius se met en chasse. Cela ne nous permet-il pas de penser que l’activité physique favorite de ce hâbleur ne se pratique pas en plein air, ni sur le plan vertical ?




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