04/06/2012
M. Euréka
M. Euréka
Je connus ce délicieux imbécile dans une association.
Appelons ce crétin M. Euréka. Le sobriquet s’appliquera, exactement, sur sa face d’égocentrique absolu. Dans l’une de ces foires aux bouquins, je dédicace mes livres (du moins je m’y efforce) au milieu du tohu-bohu et de la cohue, malgré le défilé bovin des badauds et des ballots venus admirer l’une de nos idoles médiatiques mais très peu littéraires, vedettes aux plumes de pacotille.
Passons. M. Euréka se veut courtois. C’est, je suppose, la plus grande de ses qualités, le plus beau de ses atouts. Pour ce motif, nécessaire mais à mon avis insuffisant, M. Eureka est venu me saluer. Non par intérêt pour ma personne, qui ne compte pas plus pour lui que la crotte canine, ni pour mes livres indignes de torcher son auguste derrière, comme je vais vite le vérifier.
Il s’enquiert de ma santé, avec la nonchalance et le détachement aristocratiques propres à sa caste, celle des imbéciles diplômés, se contente d’une réponse en deux mots, puis répond de manière détaillée à mes questions sur sa carrière –éminemment ratée- d’amuseur public.
Entre nous s’alignent les quelques livres que le peu d’espace dont je dispose m’a permis d’exposer. M. Euréka me regarde droit dans les yeux, en homme très bien éduqué. Pas une seconde il ne soulèvera, même du bout des doigts, l’un de mes répugnants volumes. M. Euréka ne me posera pas la moindre question à ce sujet.
Au cœur du monde, étincelle et règne la sublime personne de M. Euréka ; vers lui, nous le savons, se dirigent tous les regards de l’humanité. La santé, les joies et les soucis, les espoirs et les déceptions de M. Euréka, voilà les seuls thèmes qui méritent l’attention générale. Tout le reste est accessoire et dérisoire, y compris la personne de ce satané, de ce calamiteux Yann Le Puits, lequel se sent devenir larvaire. Si j’exposais des légumes ou des fruits, peut-être se montrerait-il plus intéressé.
M. Euréka est parti, fort satisfait de lui-même, comme à l’accoutumée. J’aurais dû lui demander ce qui, en dehors de son auto célébration, motivait sa visite, après des années de réciproque et totale indifférence.
Puis, réfléchissant sur le grotesque de la scène, je me reproche d’avoir péché par excès de bonnes manières. Au fond, je n’ai pas agi autrement que M. Euréka : je me suis comporté en homme éminemment civilisé, c’est-à-dire en hypocrite. Qu’aurais-je dû faire ? Lui demander pourquoi il était venu me voir, si mes livres n’étaient à ses yeux que des ramassis de feuilles noircies d’encre. Lui interdire de reparaître devant moi, si le seul thème qui le passionne, c’est lui-même. Oui, j’aurais dû l’expédier au cinq cents diables, maudire sa descendance jsuqu’à la millième génération, le vouer aux gémonies ! L’urbanité m’a lié la langue.
Une prochaine fois, il recevra le salaire de sa crasseuse vanité. Si toutefois pour cela je rassemble assez d’audace…
12:08 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)
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