13/06/2012
Les jumelles (Premier épisode)
Les jumelles (1)
Dans cette rue peu passagère, et même plutôt morne pendant le jour, très silencieuse la nuit, parce que les commerçants, la jugeant trop étroite et éloignée du centre, n'avaient pas daigné y ouvrir boutique, on pouvait voir deux maisons qui, à l'origine, avaient été bâties pour se ressembler à tel point que l'on n'aurait pas hésité à les qualifier d'identiques. De médiocre largeur, de hauteur ordinaire et composées d'un rez-de-chaussée surmonté d'un étage et d'un grenier, elles s'ouvraient directement sur la rue, sans la transition qu'aurait permise une cour, passage entre le domaine public et la vie privée. Sur cette façade, chacune possédait trois fenêtres, l'une au rez-de-chaussée et les deux autres à l'étage ; à l'arrière, où se trouvait le jardin, le mur était percé du même nombre d'ouvertures, comme si le constructeur avait voulu créer une symétrie absolue entre la face visible et la face cachée.
Cependant, au premier regard, on remarquait le contraste et même l’opposition entre les deux bâtisses. Celle de gauche conservait, en permanence, une fenêtre à l'étage ouverte sur la rue ; un homme muni de jumelles s'y accoudait des jours entiers et observait, en maugréant et fulminant, un lointain spectacle de lui seul connu. Quant à la maison de droite, elle semblait complètement fermée ; en toutes saisons, ses volets restaient clos, et sa porte était condamnée par deux épaisses et longues barres d'acier. Si l'on s'était contenté des apparences, on en aurait conclu que personne n'y vivait. Le curieux qui, ne se satisfaisant pas d'impressions superficielles, contournait l'obstacle en empruntant la ruelle située à l'arrière, aurait pu constater que parfois en sortait une femme, qui portait un panier à provisions, puis rentrait une heure plus tard. Cette dame n'effectuait donc ses sorties et ses entrées que par la grille du jardin, qui s'ouvrait sur la venelle.
(1) Nouvelle extraite de Voyage au Pays d’Haistybradu.
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