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17/12/2012

La statuette (6)

La statuette (1)

Sixième épisode

     Pendant une décennie, le carnage resta exposé à la vue des visiteurs, lesquels, soit trop décontenancés, soit trop polis, se gardaient d’exprimer de la répugnance. Quant aux grands-parents, des dizaines de fois par jour ils passaient devant le massacre. Probablement ne le voyaient-ils même plus. L’atroce image avait été rejetée dans ce recoin inaccessible de la mémoire, comme dans les parties les plus sombres et les plus poussiéreuses d’un grenier, où l’on n’ose plus s’aventurer.

 

    Puis, un membre de la famille (lequel, Angel ne s’en souvenait plus) avait persuadé la grand’mère de couvrir l’abominable peinture de ce rideau noir. La représentation de ce qui devait être une légende médiévale resta imprimée dans la mémoire de l’enfant, puis, quoique atténuée, dans celle de l’adulte. Comment aurait-il pu l’oublier? Des lampes munies d’abat-jour et d’ampoules au faible voltage, posées sur une commode et deux guéridons, entretenaient l’illusion d’une vie monstrueuse dans le tableau ; les contrastes de lumières et d’ombres donnaient du relief tantôt à l’animal, tantôt à la troupe des fuyards. La fantasmagorie, que le crayon et le pinceau avaient figée, s’animait, vivait, débordait le cadre qui lui était imparti. Le pire, alors, devenait possible.

    La porte de la chambre, où dormait Angel, se trouvait face au tableau. Or, il y avait, sous chacune des portes, un espace de deux ou trois centimètres, dont l’utilité ne fut jamais démontrée, mais qu’aucun bourrelet douillet ne vint calfeutrer. C’était l’une de ces menues négligences, que l’on remarque même dans les maisons les mieux entretenues. Elles nous surprennent, non parce que nous serions irréprochables chez nous, mais parce que nous soignons ces détails-là et commettons d’autres négligences, lesquelles nous paraissent sans importance.

  (1) Nouvelle extraite de Au creux du Styx, onze textes, 238 pages, 12 euros, frais d’envoi offerts, payable par chèque ou avec Paypal. Livraison garantie dans les huit jours suivants le peiement. 

09:32 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)

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