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05/04/2013

Le cordon-bleu (12)

Le cordon-bleu (12)

 

« Mais vous ne mangez rien, M. Truchaud, ça ne vous plaît pas, ce qu’a préparé la mère Ducasse ? Vous me faites de la peine, à vous voir chipoter comme ça. Vous n’avez donc pas faim ? Regardez plutôt M. Le Brahz, comme il tient sa place à table ! Lui, au moins, il a un fameux coup de fourchette ! Il fait honneur au repas ! Avec mon défunt mari, ils auraient fait une belle paire de gaillards. Il ne fallait pas que lui en promettre, à mon Albert, mais dame, c’était un travailleur de force, qui ne ménageait pas sa peine. Heureusement que vous êtes venu, M. Le Brahz, je crois que vous allez manger votre part et les trois quarts de celle de votre directeur ».

    En effet, le commensal s’emploie à dévorer comme s’il ne s’était pas nourri depuis une semaine. Toute sa personne est une machine à renifler, saliver, saisir,  découper, piquer, engouffrer, mastiquer, déglutir, depuis les narines humant avec délices les arômes et les parfums des plats magistralement mijotés, les doigts entre lesquels la fourchette et le couteau semblent devenus des prolongements artificiels de l’organisme, les lèvres qui s’étirent largement, les mâchoires qui cisaillent et broient les aliments avec  autant de délectation que de voracité, l’œsophage acheminant la bouillie vers l’admirable poche extensible, lieu de trituration, macération, brassage, élaboration, triage et distribution des sucs et nutriments, ce gouffre commun à l’humanité de tous âges, véritable maître de nos sociétés, lui pour qui nous trimons, suons, trichons, mentons, afin de remplir la gamelle trois fois par jour…

 

    (Extrait de Entre muraille et canal)

09:57 Publié dans Romans | Lien permanent | Commentaires (0)

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