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23/02/2015

Ulysse 19

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (19)

(Conférence, donnée au LAC , le 12 avril 2014)

 

Deuxième partie

 

5 Lotophages ou mangeurs de fruits.

   Nous apprenons l’année de naissance de Bloom : 1866. Il a trente-huit ans. Il entre dans l’église de Tous Les Saints et, par curiosité, assiste à la messe.  Ce serait un endroit propice, pour rencontrer des jeunes femmes… Le mécréant perçoit l’Eglise comme une horlogerie bien montée, qui rapporte gros. Il admire l’habileté des prêtres et considère l’institution de l’extérieur, en pragmatique.

   Equivalent du « lotos », l’Eucharistie endort l’esprit. La messe en latin sert à anesthésier la pensée. Bloom prend la communion au pied de la lettre et l’assimile à l’anthro-pophagie. Le sacré devient profane. Il se souvient de Denis Carey, catholique pratiquant, qui aurait dénoncé les Invincibles, au cours de  l’insurrection de 1882 et 1883.

   L’apothicaire Sweny lui propose des philtres d’amour. Comme l’encens, parfums et  savons produisent des effets narcotiques. Une lettre l’attend, à la poste. Sa correspondante, Martha Clifford, envoie une fleur séchée à Henri Fleury, pseudonyme amoureux de Bloom ; le langage se matérialise.

 

    Bloom arrive devant les bains, construction mauresque à ses yeux. Il va se purifier physiquement et, dans le bain; s’approprie la phrase « Ceci est mon corps ». Le symbole se dégrade en objet périssable.  

17/02/2015

Ulysse 18

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (18)

(Conférence, donnée au LAC , le 12 avril 2014)

 

Deuxième partie

 

4 Calypso, nymphe qui tenait Ulysse captif

     A 8 heures, Bloom  est chez lui, au 7 Eccles Street. Il pense aux rognons qu’il va déguster. Bloom est l’homme concret, par opposition à Stephen, l’intellectuel. Il aime les abats,  ce que l’on récupère. De même, il ramasse les vêtements de Marion, s’intéresse aux excréments et veut assembler des informations éparses.

   Calypso donne un écho à Télémaque, mais les symboles deviennent triviaux. A la tour Martello, Haines rêvait d’une panthère noire et montrait une pierre verte à Stephen. Bloom semble une tour pour le chat, dont les yeux sont des gemmes. Alors que Stephen transforme les objets en symboles, le réalisme de Bloom préserve la réalité de l’objet, mais dégrade les symboles.

   L’homme prend son chapeau. Un papier se trouve caché, sous la bande de cuir. Il sort et se réjouit, car le soleil brille. Il doit assister à l’enterrement d’un ami, Paddy Dignam. Voyant un bar, il s’interroge : 

    « Soif universelle. Un bon casse-tête : traverser Dublin sans passer devant un zinc. »

  Dans Ulysse, le fléau de l’alcoolisme est un thème récurrent.  Bloom entre chez le charcutier ; la bonne des voisins est là. Il lorgne ses hanches. Deux désirs coexistent : rognon et chair de femme. Les doigts du charcutier sont roses comme des saucisses, la femme a des jambons.

    Au retour, il trouve le courrier : une carte et deux lettres dont une, destinée à Marion, porte une écriture décidée, celle de Blazes Boylan,  imprésario et amant de sa femme.  Bloom la réveille et lui donne la lettre, qu’elle cache sous l’oreiller. Le mari prépare le petit-déjeuner, monte le plateau, mais  elle lui reproche sa lenteur.

    Marion demande des explications à Bloom, à propos de  « métempsychose ». Il lui parle de réincarnation des âmes. Au-dessus du lit, l’image d’une nymphe nue ; Marion en serait-elle la réincarnation ? L’amateur d’abats déjeune et lit la lettre de leur fille, Milly, bavardage d’une jeune écervelée. Elle les remercie pour les cadeaux, reçus à l’occasion de ses quinze ans. Le souvenir de sa naissance ramène Bloom à celle de Rudy, le fils mort à onze jours.    

    L’homme va s’isoler, au fond du jardin. La description de la défécation est médicale. Il se livre à des réflexions sur le fumier, les fientes et le crottin, qui bonifient la terre. Diverses préoccupations s’entremêlent : la constipation, les hémorroïdes et son appréciation de la nouvelle, lue dans le journal.

  Finalement, il s’essuie avec la moitié de l’histoire. Serait-ce là la dernière utilité de la littérature ? Des cloches lui rappellent l’enterrement de  Dignam, l’ivrogne.

 

 

 

11/02/2015

Ulysse 17

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (17)

(Conférence, donnée au LAC , le 12 avril 2014)

 

Première partie

 

3 Protée, dieu de la mer, doué de deux facultés :  celle de se transformer et celle de la prophétie.

    A onze heures, Stephen est à Sandymount Strand,  plage à l’embouchure de la Liffey. Le flux et la fixité, l’espace et le temps, le réel et l’imaginaire : voilà les pôles qui régissent Protée. Après Aristote, Stephen regarde le monde comme « ce que l’on est bien obligé de voir ».

    Pour Aristote, la vision travaille de pair avec la pensée ; ainsi, Stephen transforme le monde matériel qui l’entoure en objets de spéculation intellectuelle. Il joue les deux rôles, celui du spéculateur et celui du spectateur, mots qui ont une même racine latine : specere, voir ou regarder. Pour le lecteur, la difficulté consiste à les séparer. Nous suivons le monologue de Stephen ; ce que nous voyons dépend de sa pensée, qu’alimente sa vision.    

    L’idée de la mort et la vue d’un cadavre de chien le ramènent à la plus sordide réalité. Comme Hamlet, le jeune homme éprouve la tentation du suicide : pourquoi ne pas marcher au bord d’une falaise ?

    Il voit venir des femmes vers la plage ; en tête, marche une sage-femme qui, suppose-t-il, a dans son sac un cordon ombilical. L’observateur imagine les cordons du passé, mis bout à bout, devenant ligne téléphonique. Le penseur s’interroge à propos de Dieu, le Père et le Fils, et du coït de ses parents. Puis, il évoque Arius, hérétique du 3e siècle, à l’agonie aux cabinets, en érection …

   Ce qui précède est typique de Joyce : la plus grande liberté possible, l’insolence absolue, les apparents coq-à-l’âne.

   De pauvres cahutes se dressent, en haut de la plage aux odeurs d’égout, couverte de saletés. Le rêveur se revoit,  étudiant à Paris, imaginant sa gloire future. A son égard, il exerce une cruelle ironie, car il se croyait successeur des moines et prédicateurs irlandais du passé.

    Le promeneur voit  un chien s’éloigner, puis revenir vers un couple, introduction au thème de Protée : le chien se trans-forme tour à tour en lièvre, cerf, ours, loup, veau, léopard, panthère, rapace. C’est désopilant et, stylistiquement, du grand art. Les maîtres du chien sont assimilés à des fellah ; image de la soumission,  la femme suit l’homme et porte les sacs, pleins de coques. Le soir, elle se prostitue, tandis que Monsieur boit au café. Le fellah rattache la scène à l’universel : l’immé-moriale misère humaine.

    Ces pages fourmillent de ruptures, de passages rapides des souvenirs aux impressions actuelles. Joyce nous livre une suite d’instantanés. Cela vous bouscule et vous emporte.

    Stephen imagine des marins, repêchant un noyé. Cadavre d’homme ou de chien, une seule et même chose. Mulligan avait dit que la mort n’était que bestialité.

    Stephen se lève pour partir et voit un navire. L’idée de l’exil s’impose.