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15/04/2012

Salle d'attente (extrait)

Salle d’attente (extrait)

 

 

 

Acte 3, Scène 1

    

    Court interlude, pendant lequel chacun retombe dans le piège des occupations. La Schlingue claironne son retour, au moyen de rots bruyants. Tous lèvent les yeux, éberlués.

 

La Schlingue :

Ma douce chopine,

C'est  ma vraie copine,

Le brave litron,

Mon compagnon,

Le blanc sec,

Mon bifteck,

Ma rouge boisson,

Ma seule raison,

Mon p'etit chez-moi,

Par ici, par là,

Sans l'ombre d'un toit !

Vos foutus horaires

Me flanquent des glaires !

Vot'sale fric

Vous étrique !

Parlez-moi pas d'travail !

Quand gueulera le glas,

Ch’créverai su' la paille,

Vous su'vos mat'las !

Le véritable boulot

Sera pour les asticots !

Vot'bidoche et la mienne

En s'ront pleines !

Merde aux bourgeois !

Vive les filles de joie !

En avant l'anarchie !

Tout pour la poésie !

 

L’employé : La Shlingue ! Tu m’avais promis de rester sur le quai jusqu'à ce que je t'appelle !

           

La Schlingue : J'm’enquiquinais, là-bas, tout seulâbre !

           

L’employé : Fous le camp, sale clodo, sac à vin !

           

La Schlingue : Ta gueule! J'ai ben le droit d'être dans c'te taule !

           

Bonita : Quel grossier personnage !

 

    La Schlingue s'affale sur un siège.

           

Noktar : Eh, vous, le mal rasé, où vous croyez-vous ?

 

La Schlingue : C'est-y à mézigue qu'tu jactes, mon pote ?

           

Sygne : Sa syntaxe et son  lexique  fleurent bon le pittoresque !

Noktar : De quel droit me tutoyer-vous ?

           

La Schlingue : S'cuez-moi, Votre Excellence ! Je l'ref’rai pus !

           

Noktar : En entrant ici, vous avez éructé ! Cette salle d'attente n'est pas une porcherie !

           

La Schlingue : Kwâ qu'j'ai fait, moi ?

           

Noktar : Roté, pour parler votre langage ! Vous ne vous en souvenez déjà plus ?

           

La Schlingue : Chais pas... C'est si naturel d’roter... J'rote et j’pète comm'j'respire, sans y penser !

           

Dertin : Vous arrive-t-il de penser, mon brave ?

           

Bonita : Quelle absence totale d’éducation !

 

    Le postérieur de La Schlingue émet une explosion nettement audible.

           

La Schlingue : Je pète, donc je suis !

           

    Les dames poussent des cris outragés. Noktar se tourne vers Sygne.

           

Noktar : M. Sygne, voilà un homme avec qui vous pourrez entretenir de fructueux échanges philosophiques, pendant notre attente de durée... indéterminée.

Sygne : Plaît-il, M. Noktar. ?

           

Noktar : Monsieur... le péteur ou le pétomane, révélez-nous votre identité !

           

La Schlingue : La Schlingue, l'homme qui s’ lave jamais !

           

Noktar : Merci pour cette odorante précision. M. La Schlingue vient de nous prouver, en citant Descartes, qu'il est un homme cultivé !

           

Sygne : Il m'a plutôt semblé que la pensée du philosophe était légèrement déformée, voire très librement interprétée par M. La Schlingue.

           

    La Schlingue sort de son havresac l’arsenal traditionnel du casse-croûte populaire. D'une de ses poches, il extrait un couteau et un tire-bouchon, débouche la bouteille et boit directement au goulot, puis présente le biberon aux voyageurs.

           

La Schlingue : Boirez ben un p'tit coup ?

           

Bonita : Non, merci, M. La Schlingue. Je n’aime pas le vin rouge. De temps à autre, je bois une vodka orange, c’est tout.

           

Dertin : Ma maladie m'interdit toute boisson alcoolisée.

           

La Schlingue : Zêtes patraque, vous, la vioque ? Zavez plutôt une tronche à enterrer vos mioches ! Ces messieurs vont ben trinquer avec moi ?

           

Noktar : Je ne bois que du whisky écossais, à la nuit tombée.

           

La Schlingue : Ben, mon gars ! T'as les tripes en acier et l'bidon en béton ! C'est pour les bagnoles, c'carburant !

           

Noktar : Je vous ai déjà dit de ne pas me tutoyer ! Combien de fois faudra-t-il que je le répète ?

           

La Schlingue : J'vous d'mande ben pardon, Votr’Altesse ! Eh, vous, le barbu, sifflerez ben un p'tit coup de rouquin ?

 

Sygne : L'ingestion d'alcool nuirait à mon activité.

           

La Schlingue : Zêtes actif, vous ? Z'en avez pas l'air !

           

Sygne : Direz-vous que la pensée et l'écriture sont des activités négligeables ?

           

La Schlingue : Sûrement pas ! C'est pour ça que j'bosse pas !

           

Dertin : Nous nous doutions que vous aviez quelque répugnance pour le travail.

           

Noktar : A moins que ce ne soit le travail qui répugne à s'approcher de lui.

           

La Schlingue : J'peux pas m'creuser l'cigare et turbiner en même temps. Quand on trime, on a toujours un con d'chef su'l'dos, ké payé ren ka vous faire chier.

           

Sygne : La sociologie de cet homme ne manque pas de bon sens.

           

Dertin : Ce sont les idées d'un  être asociable !

           

La Schlingue : Zêtes allée pointer, vous, la tubarde, pendant des piges ?

           

Dertin : Non. Feu mon époux gagnait l’argent du foyer. Il avait la fierté des hommes de sa génération, qui ne voulaient pas que leurs épouses travaillassent.

           

La Schlingue : Ben alors, pourquoi qu'vous voulez qu'j'aille me cr‘ver le cul au boulot ?

           

Sygne : Qu'on le déplore ou non, ce qu'il dit est très juste. A quoi servent les hiérarchies, sinon à planter en chacun de nous cette conviction, que sans elles nous ne serions rien ?

           

Dertin : Seriez-vous anarchiste, M. Sygne ?

           

Sygne : Pas plus que vous, quand vous recevez votre feuille d'impôt !

Noktar : Vous travaillez certainement, M. Sygne. Comment pouvez-vous tenir de tels propos ?

           

Sygne : La vie quotidienne n'est qu'un cauchemar que nous faisons mine de supporter, M. Noktar.

           

Dertin : Quel métier peut-on exercer, lorsque l’on professe de pareilles opinions ?

           

Sygne : Nulle ne l'est. Mais que vous importe comment je gagne ma vie ?

           

Dertin : M. Sygne, je ne prétends pas être  philosophe, mais j'essaye de comprendre le monde. Vous me déroutez. Vous nous dévoilez la piste d'une énigme, puis vous refusez d'en dire plus. Ce n'est pas très gentil.

           

Sygne : Je vous répondrai, puisque vous y tenez. Je suis Inspecteur dans une Administration.

           

Dertin : C'est choquant ! Comment pouvez-vous concilier vie professionnelle et convictions ?

           

Sygne : Je ne désirais pas vous choquer, Mme Dertin, mais vous surprendre me ravit.

 

 

11:27 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

14/04/2012

Incantation

Incantation

 

Haute nuit, O toi, l’autel de ma douleur,

 

Où l’immolateur dépose mon cœur,

En toi j’écoute la voix des os,

Les étirements de la peau,

Les susurrements du sang,

Les pourquoi de la bile cracheuse,

Le grandiose grondement du sperme,

Et je m’escrime dans le vide,

Entre mort et vie,

Contre des ombres sans visage.

Ote ce toit qui me nuit,

O toi l’autre aile de ma douleur.

 

10:16 Publié dans Poèsie | Lien permanent | Commentaires (0)

13/04/2012

Vive la cravate !

Vive la cravate !

 

 

  Il aimait dans ses habits vaquer à l’aise. Le port de la cravate lui infligeait une détestable discipline. Toujours, les gens répétaient :

    - La cravate, ça vous habille un homme. C’est plus sérieux, ça vous donne un air posé, réfléchi, distingué, respectable.

   Se trouvait-il donc nu, parce que dépourvu de cravate ? L’indécence devait susciter la réprobation :

    - Tenue débraillée, pas correcte, présente mal, devrait tout de même faire plus d’efforts, se néglige, ne tient pas compte des autres, se fiche de l’avis général, exagère, n’a jamais été bien élevé, éducation à refaire, oui mais il est trop tard, pensez donc, à son âge, que voulez-vous qu’on y fasse, c’est y pas malheureux, avec des parents si honnêtes et travailleurs, et patati et patata …

    Ils bavent et ils disent qu’il pleut.

    Un jour, excédé par les sermons et les ragots, il sortit, habillé seulement d’une cravate. On l’arrêta pour attentat à la pudeur.

    Vraiment, allez comprendre la société ! Ça vous donnerait presque envie de devenir moine ! Ah, la robe de bure ! A poil là-dessous et pudique à la fois.  

 

14:23 Publié dans Essais | Lien permanent | Commentaires (0)