01/10/2013
Les ailes brisées 16
Les ailes brisées (16)
Autour d’eux, partout, le vent ignorant des frontières promenait sa cantilène, incessante, susurrante, insinuante, gémissante, dans la forêt de fougères, que l’intrusion des naufragés avait dérangée.
Ils traversèrent cahin-caha les zones de turbulence d’un sommeil entrecoupé, fébrile et cauchemardesque. A chaque fois qu’ils se réveillaient, ils entendaient le vent poursuivre sa course plaintive, qui faisait se plier, ployer, se déplier, les fougères. Au lointain, des hurlements de ralliement conviaient les loups éparpillés à réunir leurs forces pour la traque. La lune glaciale illuminait la nuit aux immenses, aux gigantesques proportions. Le cosmos avait assemblé la brillante armée de ses paisibles sentinelles. L’énorme cœur de la Nature palpitait : diastole d’une bourrasque, systole de l’accalmie.
Dans les sacs de couchage conçus pour de très basses températures, les corps frileux des naufragés se recroquevillaient, mais le pire n’était pas d’avoir froid. Non, le plus grave était de sentir la fragilité, la vulnérabilité de l’homme face à la grandiose puissance du cosmos, qui déjà les avait projetés vers le sol, avait brisé leurs ailes, mais les avait épargnés, comme pour se montrer magnanime dans sa cruauté, ou cruel dans sa magnanimité, car désormais le chemin du salut serait long, très long, excessivement long.
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30/09/2013
Les ailes brisées 15
Les ailes brisées (15)
D’ailleurs, ces « mangeurs d’hommes » fuyaient plutôt leurs proies potentielles, tant elles les redoutaient. Le problème était bien plus profond que cela. Déjà la Nature les avait frappés. Le ciel s’était montré plus fort que l’oiseau de métal. Le poing qui avait frappé l’avion, ne pouvait-il pas s’abattre sur eux, les écrabouiller comme des mouches ?
Habituellement, les deux aviateurs ne s’encombraient pas de considérations métaphysiques. Le jugement de Dieu et ses manifestations météorologiques ne les souciaient pas. Malgré tout, l’écrasement avait imprimé en eux la marque de l’horreur. Ils avaient fixé les orbites creux de la camarde. Tout était potentiellement devenu porteur de menaces. L’omniprésence de la Nature leur imposa des précautions. Avec les tôles, ils se bâtirent une sorte de cabane, un peu branlante et rudimentaire. Les deux amis s’enfoncèrent dans des sacs de couchage, puis se souhaitèrent bonne nuit.
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29/09/2013
Les ailes brisées 14
Les ailes brisées (14)
Ils mangèrent des sardines à l’huile avec des biscotes et burent du lait concentré sucré. Parler de gastronomie eût été déplacé, mais l’essentiel n’était pas là.
Afin de dormir sans trop d’inquiétude, ils déblayèrent un secteur autour de la carcasse de l’avion. Pour cela, ils durent casser puis piétiner les fougères, de façon à former un cercle de dix mètres de diamètre autour de leur campement. Il n’y avait plus guère d’animaux dangereux pour l’homme dans la région, hormis quelques bandes de loups et de rares tigres blancs. Petrov et Youri n’étaient pas hommes à se laisser impressionner par ces fauves. Les deux fusils et les balles trouvés parmi les débris leur permettraient aisément de dissuader ces prédateurs, s’ils manifestaient des velléités d’attaque.
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