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12/05/2015

Ulysse 32

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (32)

(Conférence, donnée au LAC, le 12 avril 2014)

 

Troisième part

 

18 Pénélope

   Lisons la lettre de Joyce à  Budgen, ami de l’auteur :

    « Pénélope est le clou du livre. La première phrase contient 2.500 mots. Il y a huit phrases dans l’épisode. Cela commence et finit par le mot féminin oui. Cela tourne comme l’énorme boule terrestre, lentement, sûrement, régulièrement, cela pivote encore et encore (…) Bien qu’il soit probablement plus obscène que n’importe lequel des épisodes précédents, il me semble qu’il est parfaitement sain, pleinement amoral, fertilisable (…) »

   A Harriet Weaver, il confia : « Pénélope n’a pas de début, pas de milieu, pas de fin (…) Pour sa conception et la technique, j’ai essayé de peindre la terre, qui a précédé l’homme et vraisemblablement lui survivra. »

    Marion trouve artificielle la poésie masculine, qui célèbre la femme. La littérature écrite par les hommes ne peut intéresser les femmes. Lorsque, avec mépris, elle ajoute « je n’aime pas les livres où l’on trouve une Molly », le doute nous gagne : s’agirait-il d’un rejet d’Uysse lui-même ? Rappelons que Molly est le diminutif de Marion.

   Ce retournement relève de la capacité autoréflexive d’Ulysse, à scruter ses prétentions à signifier, comme dans Eole, avec les titres, ou les interpolations des Rochers Errants, le questionnement perpétuel d’Ithaque. La nouveauté provient du  déplacement de perspective, du masculin au féminin.

    La mémoire brasse les souvenirs. Dans son recyclage apparemment infini du passé, Pénélope incarne, ostensible-ment, la capacité illimitée d’Ulysse à se renouveler.  

    L’opinion que Marion a des hommes est peu flatteuse : geignards et pleurnichards, « tous enragés pour entrer par où ils sont sortis ». Elle soupçonne Bloom de débaucher les bonnes. Il mérite les adultères qu’elle commet. Définitive-ment, elle le considère comme un médiocre, un raté, menteur et têtu, un faiseur d’histoires. 

    Des thèmes s’entrecroisent : l’amour, la laideur et la beauté, l’argent, les vêtements, les bijoux, le maquillage. Comme Pénélope sa toile, Marion tisse et défait sans cesse la trame du discours.

   Des phantasmes émaillent le monologue ; elle imagine Stephen vivant sous leur toit, ils partageraient l’amour du chant, le jeune homme deviendrait son amant, sous le nez de Bloom, qui serait même convié à assister aux ébats.

 

 

 

06/05/2015

ulysse 31

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (31)

(Conférence, donnée au LAC, le 12 avril 2014)

 

Troisième partie

 

 

17 Ithaque, la patrie d’Ulysse

   Le chapitre est bâti comme un questionnaire. Un interro-gateur anonyme veut toujours plus de précisions. L’interrogé répond, inlassablement, et fournit les détails à foisons. Joyce semble se détacher de la littérature.

    Nous apprenons plus de choses sur Bloom que dans tous les autres épisodes : sa taille, son poids, les titres des livres sur les rayons de sa bibliothèque, les caractéristiques de sa maison de rêve, des données astronomiques, le chemin suivi par l’eau de pluie jusqu’au robinet, dans un style impersonnel, où chaque chose est nommée.

   L’action est décomposée en ses moindres mouvements, la mécanique et la physique sont minutieusement analysées, si bien que  l’action est suspendue. La masse des mots engloutit la narration. Un désir obsessionnel s’affiche, de s’assurer de la réalité des choses, comme dans L’Odyssée, où Ulysse se demande s’il est bien arrivé à Ithaque.  L’ironie est facilement perceptible, dans le ton détaché. Malgré tout, la narration avance, à pas minuscules. Joyce appela ce chapitre « le vilain petit canard ».

    De même que Stephen n’a plus ses clefs, Bloom a oublié les siennes. Il pénètre chez lui en sautant par-dessus la grille, puis par l’arrière-cuisine.

    L’hôte se fait une toilette de chat, mais l’invité n’en fera pas, car son génie et l’eau sont incompatibles. Il ne s’est pas baigné depuis le mois d’octobre et se méfie de la limpidité, y compris dans l’expression ! Quant à Bloom, il a essayé de trouver dans la littérature sérieuse les réponses aux questions existentielles qu’il se posait, sans les y trouver….

    L’hôte offre un chocolat chaud à l’invité. Toujours maus-sade, ce dernier refuse l’hospitalité pour la nuit, leur commu-nion se réduit à une miction, dans la cour, puis le jeune homme part.

 

 

30/04/2015

Ulysse 30

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (3O)

(Conférence, donnée au LAC, le 12 avril 2014)

 

 Troisième partie

 

16 Eumée, le fidèle porcher d’ Ulysse

    L’épisode commence par « Avant toutes choses », mots apparemment creux, puisque chaque chose en précède une autre. Pourquoi cela, si tard dans la narration ? Serait-ce une manière de nous mettre en garde ?

   Comme la démarche des protagonistes, le style dénote la fatigue. Il se démonte lui-même, en accumulant les conces-sions. Le comique résulte d’une excessive prudence.

    L’équivoque est entretenue sur l’identité du narrateur, par le jeu des « il » et « lui » puis « leur », qui conduit à « Bloom Stoom » et « Stephen Blephen ». Il devient difficile de savoir qui parle. Le doute s’installe, quant à la véracité du récit.   

   Bloom rend canne et chapeau à Stephen, dépoussière ses vêtements et l’aide à marcher. Il cherchent un fiacre, mais n’en trouvent pas. Bloom prononce un discours moralisateur, sur les dangers de l’alcool, les sorties nocturnes et la fréquentation des prostituées. Il critique  la police, qui protège les riches, mais tire contre les pauvres. Il réprouve la lâcheté des amis de Stephen, qui l’ont  abandonné. L’aîné donne des conseils paternels au jeune. Il devrait se méfier de Mulligan, le profiteur.

    Ils entrent à l’Abri du cocher, bar mal famé. Bloom offre un café et des biscuits à Stephen. Dehors, des Italiens parlent fort, Bloom suggère au poète d’écrire dans cette langue. Réponse désabusée. Un marin ivre aborde Stephen, lui demande son nom et dit connaître son père. L’homme assure que Simon est un « véritable irlandais ». Le marin conte des voyages  invrai-semblables, mais ne connaît pas Gibraltar. Comme on doute de sa parole, il exhibe un couteau et relate le meurtre d’un homme, à Trieste…

   Les buveurs parlent de tempêtes ; le matelot affirme que sa médaille pieuse l’a sauvé de bien des périls. Elle rappelle le voile magique, confié à Ulysse, par une nymphe.    

   Bloom emmène Stephen chez lui. L’aîné se demande si le jeune a la voix de son père ; il rêve d’opéras et de gains mirifiques. Stephen chante dans la rue, ce qui conforte Bloom dans ses rêves.