04/10/2013
Les ailes brisées 10
Les ailes brisées (19)
Non sans peine, il s’extirpa du sac de couchage. Chaque mouvement était la cause d’une douleur, et chaque douleur le ramenait mentalement à la catastrophe, de laquelle il se félicita d’avoir si miraculeusement échappé. Le salut n’était pas garanti pour autant. Le gouvernement n’attachait guère de prix à la vie d’un ou deux de ses serviteurs. Lancer des équipes de secours à la recherche des disparus coûterait trop cher. Les restrictions budgétaires ne permettraient pas de défrayer un sauvetage coûteux. Petrov et Youri ne devaient compter que sur eux-mêmes, sur leurs propres forces ou plutôt sur leur faiblesse face à la vastitude désertique. L’ogresse nommée Sibérie avait dévoré tant de ses propres enfants qu’il n’était pas exclu qu’elle dévorât aussi les deux naufragés du ciel.
ouvelle extraite de Hautes sources, vastes estuaires, en vente sur ce blog.
09:03 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)
03/10/2013
Les ailes brisées 18
Les ailes brisées (18)
Vint l’aube, frilosité blafarde, pâle augure du jour. Le ciel tourna sur lui-même. La lune et les étoiles roulèrent dans l’hémisphère Sud. Les fougères, que la munificence nocturne avait argentées, verdirent de nouveau. Les loups se tapirent dans leurs tanières, où leurs yeux mordorés allumèrent un nouveau firmament. Le jour s’empara de la steppe, avec la puissance intransigeante des anciens tzars.
Petrov s’éveilla le premier. Une stupeur l’empêcha d’abord de comprendre ce qu’il faisait là. Son esprit tenta, non sans difficultés, de démêler l’écheveau des heures passées. Puis, par degrés, la mémoire lui rapporta, implacablement, les souvenirs de la catastrophe, un à un, comme les différents débris d’un navire fracassé roulent et glissent sur les vagues, jusqu’au rivage.
Nouvelle extraite de Hautes sources, vastes estuaires, en vente sur ce blog.
09:17 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)
02/10/2013
les ailes brisées 17
Les ailes brisées (17)
La température descendit en dessous de zéro. Il gela. Des rares nuages encore persistants, le ciel se dégagea complètement. La lune cisela chaque feuille de fougère. Les étoiles coulèrent sur les arborescences géantes des ruisseaux de clarté originelle. La lumière primitive glaça le paysage vaguement onduleux. Les animaux sauvages humèrent le vent, flairèrent les pistes du prédateur ou du gibier, mais chacun sut, grâce à la science de l’instinct, que la puissance suprême dirigeait cette illumination venue des extrémités de l’univers, le bouillonnement de ces milliards de soleils qui naissent, grandissent, vivent, vieillissent et meurent comme les humains, jusqu’à l’explosion finale.
Vers les trois heures du matin, Petrov se leva. Vers le ciel où la lumière et l’obscurité se disputaient le terrain, il dirigea le regard. Ce n’était pas la première fois qu’il bivouaquait, mais cette nuit était solennelle. Le pilote mesura mieux sa petitesse, face au grandiose et magnifique scintillement, éparpillé sur la toile d’un noir bleuté. Il se rappela que, même avant la mort, l’homme n’est qu’une poussière parmi des millions de milliards de poussières, particule microscopique parmi des myriades d’autres particules. L’orgueil veut que ces amibes humaines se prennent pour d’énormes planètes. A l’intersection de la solitude et de l’infini, Petrov frissonna, car il se sentit réduit à ce qu’il était, c’est-à-dire presque rien.
Nouvelle extraite de Hautes sources, vastes estuaires, en vente sur ce blog.
09:36 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)