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24/11/2013

Jean Genet 5

Jean Genet : Vers une écriture réflexive 5

 

Genet, poète ou romancier ?

 

    Si une seule phrase devait résumer l’entreprise de Genet, celle qui précède conviendrait mieux que tout autre. Elle affirme la mission  du véritable écrivain, qui se refuse à jouer le rôle de saltimbanque. Le créateur est possédé par ses créatures. Il s’agit de nous mener le long de chemins abrupts, vers des crêtes ou des gouffres. Genet choisit la voie prométhéenne. Il n’a cure de plaire ou de séduire. Lorsqu’il commence d’écrire, il n’a pas la moindre ambition carriériste ou mondaine et n’en aura pas plus par la suite. Le premier « roman », Notre-Dame-des-Fleurs déstabilise le lecteur tant du point de vue moral qu’esthétique. « Weidman vous apparut… », voilà le début de ce poème onirique : la célébration d’un bel assassin.

    Genet ne construit pas  ses récits sous le rigoureux contrôle de la logique. Lorsqu’il se met à le fréquenter, le lecteur est décontenancé par les nombreuses ruptures, qui peuvent laisser l’impression d’histoires complètement décousues.  Les périodes et les lieux se rapprochent ou même s’enchevêtrent, selon les règles d’une autre logique, celle du rêve et de la poésie. C’est bien pour cette raison qu’il s’est lui-même défini comme poète. Au fil des pages foisonnent symboles et métaphores, folles images, scènes grandioses ou grotesques, horribles ou merveilleuses.

    Des années sont résumées en quelques phrases, alors que de brefs moments s’étirent à nous donner le vertige, comme dans la Recherche proustienne.

 

   Article paru en 2010, dans Art et Poésie de Touraine et Florilège.

 

 

 

10:18 Publié dans Essais | Lien permanent | Commentaires (0)

23/11/2013

Jean Genet 4

Jean Genet : Vers une écriture réflexive 4

 

 

   La vie de Genet ne servira plus qu’à confirmer la sentence. Il sait qu’il a tort d’être un voleur, mais il choisit d’avoir tort, seul contre tous. « Il joue à qui perd gagne. » De plus, le regard qui l’a réifié sert d’amorce à la pédérastie.

    Sartre mène magistralement la thèse ; les références littéraires et philosophiques sont diverses et nombreuses. Nous formulerons pourtant quelques réserves : la première, c’est que Genet lui-même n’a jamais parlé de la crise originelle, du moins pas telle que Sartre l’a décrite ; nous reprocherons au préfacier une volonté trop manifeste de tout ramener à cette unique explication.

    Pour ce qui concerne le vol, Genet raconte, dans Journal du voleur qu’il a vu sa mère nourricière voler des fleurs dans un cimetière, afin d’en garnir la tombe de l’un de ses proches. Cela contredit la thèse de parents à la morale pointilleuse, que défend Sartre.

    Nous ne saurons jamais si la crise originelle s’est produite ou non, et telle que nous la raconte Sartre ; elle est vraisemblable, mais le déterminisme très systématique de la démonstration nous laisse vaguement sceptiques. Une vie ne se résume pas à une seule scène, aussi importante soit-elle.

   « Créer n’est pas un jeu quelque peu frivole. Le créateur s’est engagé dans une aventure effroyable qui est d’assumer soi-même jusqu’au bout des périls risqués par ses créatures. On ne peut supposer une création n’ayant l’amour à l’origine. (…) Tout créateur doit ainsi endosser (…) faire sien au point de le savoir être sa substance, circuler dans ses artères le mal donné par lui librement que choisissent ses créatures. » Jean Genet, « Journal du voleur », P. 235 et 236.

 

   Article paru en 2010, dans Art et Poésie de Touraine et Florilège.

 

 

09:05 Publié dans Essais | Lien permanent | Commentaires (0)

22/11/2013

Jean Genet 3

Jean Genet : Vers une écriture réflexive 3

 

 

 Le noyau de la thèse sartrienne : « la crise originelle »

 

    Né de père inconnu en 1910, puis abandonné par sa mère à seulement sept mois, pupille de l’Assistance Publique dès 1919, Jean Genet souffre du stigmate lié à la bâtardise.  Egaré dans ce monde de propriétaires, où l’enfant recueilli ne possède rien, il se sent exclu : la Terre est quadrillée de clôtures et de barrières. Le paysage est placé sous haute surveillance.

    Puisque Genet n’a rien, il n’est rien. L’enfant va donc voler, afin d’exister, mais aussi parce qu’il connaît la fausseté de sa situation : ce couple d’agriculteurs et lui-même demeurent réciproquement  étrangers. Pressentant qu’il est essentiellement coupable parce que bâtard,  le petit Genet vole par obéissance, afin de ressembler à l’image négative que l’Autre s’est forgée de lui. Or, on le surprend, par derrière ; comme l’homosexuel passif, il est investi. Irrévocable,  le jugement lui est asséné :

    « Tu es un voleur ».

     Sartre appelle la scène traumatisantela crise originelle. Voici le bâtard lié au pilori de sa propre infamie. Bien qu’il ne reconnaisse pas d’abord, dans le miroir, le visage du voleur, il va se convaincre qu’il doit être ce que les adultes voient en luI. Il ne pourra plus choisir entre le Mal et le Bien, puisque le second lui est fermé. Par contre, il peut choisir entre une carrière du Mal exemplaire, ou les velléités d’un amateur. Adulte, Genet s’adonne au Mal comme d’autres se consacrent au Bien : à corps perdu. C’est pourquoi il créera ce concept fou : la Sainteté du Mal. 

 

   Article paru en 2010, dans Art et Poésie de Touraine et Florilège.

 

 

 

09:19 Publié dans Essais | Lien permanent | Commentaires (0)