26/03/2012
Land's end
Land’s end (1)
A proximité de la possible extrémité de la Terre, nous assistons aux épousailles du Fleuve et de la Rivière.
De la seconde, le premier s’abreuve. Le temps l’altère.
Entre berges et nuages, il va boire celle qui lui est si chère.
S’assemblent, pour assister aux noces, les saules, éternels éplorés, et les peupliers, dont la vocation est de ployer.
Par endroits, bien futé qui délimiterait le commencement et la fin du sol ferme, d’une part, et de l’eau fuyante, d’autre part. Ils vivent en fusion amoureuse. La ligne de partage est devenue incertaine. La terre est fluide, les eaux parfois semblent vouloir s’arrêter.
Face à nous, Villandry trace la géométrie de ses jardins aux arguments mythologiques et légumiers.
La voie romaine conserve, avec une force impériale, ses pavés cahotants. Le vingtième siècle motorisé ne la concerne pas. Sur la rive Nord, de même, l’aqueduc de Luynes nous parle encore de l’histoire de l’eau.
Le long de dix fois cents kilomètres, le Fleuve accueillie diverses alliées. A tant de fiancées, il ouvre son lit ! Encore et encore, se fêtent les épousailles. Les rivières engrossent le Fleuve.
Là-bas, aux confins de la celtitude, l’estuaire célébrera sa gloire. De son château, la belle Duchesse Anne contemple-t-elle toujours le cours, qui vit son alliance avec le Roy de France ? Pleure-t-elle éternellement les Dauphins si prématurément décédés ?
A Nantes, de la mémoire du Fleuve aura fui le souvenir du torrent qui dévale.
Ici, en ce bout du monde, nombreux sont les chercheurs d’aquatique verdure.
Fervents témoins de l’hymen, jour après nuit réitéré.
Parmi eux va le rêveur. La beauté lui paraît si réelle et naturelle, qu’elle vaut la peine d’être contée.
(1) « Bout du monde », en Anglais. Nom donné à l’extrémité ouest de la Cornouaille Britannique, pays celtique. Lieu préservé, resté sauvage.C’est également le nom d’un lieu,à Berthnay,près du confluent de la Loire et du Cher
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17/03/2012
La réserve
La réserve
Je rencontrai ce « personnage » dans un bar.
Il n'était constitué que d'os et de nerfs. Ses cheveux avaient déserté son crâne, trop aride.
Un bec crochu remplaçait son nez et des serres ses doigts. Sa voix tranchante vous écorchait le tympan.
Il me révéla :
« Par profession, directeur d'école, j'avoue la taxidermie pour passion. Seriez-vous intéressé. Monsieur, de voir ma collection ? »
Intéressé, je l’étais médiocrement. Je n'acceptai que par courtoisie.
Devant sa porte, il me dévoila:
« Peut-être ma collection vous paraîtra-t- elle insolite. Mais j'ai détecté en vous un libre esprit, et je ne crois pas que vous en serez choqué. »
Nous entrâmes, et je réprimai un sursaut, à la vue d'un enfant figé, au regard fixe et vide, debout sur une console dans le vestibule. De fines tiges de fer le soutenaient.
« Voyez-vous, Monsieur, j'empaille les enfants. Admirez ce petit blond aux yeux verts ! Et cette brunette aux yeux bleus ! Au-dessus de dix ans, je refuse les candidats. Notez bien qu'ils ne souffrent pas. J'emploie un poison euphorisant. Ils croient s'endormir. Quelle chance pour eux ! Jamais ils ne connaîtront les affres de la vieillesse, la décrépitude, la sénilité, le gâtisme, la démence ! Un sourire de jouvence agrémentera pour toujours leurs traits, épanouis comme des corolles printanières.
Hélas, l'hypocrisie dominante stigmatise encore cet inoffensif passe-temps... Néanmoins, chacun le pratique, peu ou prou, en catimini. Il faudra que quelques innocents collectionneurs soient martyrisés pour soulager la conscience puante de nos contemporains. Plus tard, on les réhabilitera ; à leur mémoire, on édifiera un monument, devant lequel les sommités débiteront des discours pleurnichards et conventionnels.
Pourtant, Monsieur, nous rendons des services à la société. Aux parents qui me vendent leurs enfants, j'épargne les inconvénients et les déconvenues de l'élevage ; et surtout, je conserve les exemplaires les plus représentatifs d'une espèce en voie de disparition. »
Ma physionomie ne traduisait pas la satisfaction. Le taxidermiste s'en rendit compte et me demanda :
« - Mais, Monsieur, quelle est votre passion ?
- La vie, Monsieur, la vie… »
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La conciliation
La conciliation
A gauche, il chaussait du 33 et a droite, du 47.
Cette dissymétrie lui coûtait beaucoup ; par exemple, pour obtenir une paire de chaussures, il devait en acheter deux.
Mais le plus insoluble de ses problèmes consistait en ceci : son pied droit avançait plus vite que le gauche, entraînant avec lui la jambe, la hanche, la moitié du buste, l'épaule, la moitié du visage.
Ainsi, sa partie droite formait avec la gauche un angle droit, ce qui 1ui conférait l'aspect, physique et moral, d'un homme perpendiculaire à lui-même.
Son côté droit, plus fort et plus doué, remorquait, sans lui permettre de discuter de la direction à choisir, le gauche qui s'essoufflait, renâclait et se décourageait.
Un observateur zélé eût pu déceler, après des années de tiraillements, les symptômes du divorce; un conjoint accusait l'autre de se précipiter sans cesse, tandis que celui-ci reprochait à celui-là de croupir dans sa lenteur.
Un jour d'extrême lassitude, pour la première fois d'accord, ils convinrent d'aller chacun de leur côté.
Néanmoins, ses amis, qui selon leurs préférences, avaient choisi de fréquenter l'une ou l'autre de ses moitiés, s'accordaient sur un point : séparées, elles avaient perdu le goût de vivre.
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