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13/12/2012

La statuette (2)

La statuette (1)

Deuxième épisode

    L’irréaliste client se présentait la scène: l’horloger fronce un sourcil soupçonneux, l’acuité professionnelle de son regard transperce l’importun ; froidement et sèchement, les lèvres pincées par le mépris, l’artisan de l’heure exacte  répond au farfelu que sa maison est sérieuse, que pour les boites à musique il faut s’adresser ailleurs, qu’il ne prise pas la moquerie faite à ses dépens, enfin que lui, fournisseur de temps programmé, n’a certainement pas une minute à perdre avec les auteurs de canulars. Le client à l’étrange demande, farceur de mauvais goût, est éconduit. La porte se referme derrière le gêneur, avec un claquement dissuasif qui doit signifier: « N’y revenez plus ».      

 

    Ce matin-là, donc, Angel se sentait mal ; non pas malade, mais angoissé, très angoissé. Le rêve qui, au cours de la nuit, l’avait visité, hanté, possédé, ne le quittait pas. Les impressions en avaient été si fortes que, même après le réveil, elles persistèrent avec une obsédante fixité. Le cauchemar l’hypnotisait. Les images, caractérisées par l’habituel mélange de précision  et d’ambiguïté propre aux rêves, l’avaient rejeté quarante ans plus tôt, dans les terres lointaines de l’enfance. Il n’y avait, chez les grands-parents maternels, qu’une seule chambre d’amis, qui recueillait l’invité, quel que fût son âge, son degré de sérénité ou d’anxiété.

     L’un après l’autre, au-delà d’une porte qui se dressait seule, sans le support d’aucun mur, des meubles se montrèrent. Au milieu de la pièce fantomatique, un cercle de lumière les attira. Lentement,  ils s’avancèrent, comme des gens frileux qui cherchent la chaleur du foyer: la grande armoire de châtaignier, avec sa glace où l’on pouvait se mirer de cap en pied, les deux chaises à dossier droit, recouvertes de velours vert sapin râpé par le frottement des fesses et des dos, les deux tables de chevet, enfin cet immense lit, taillé dans le même bois que l’armoire. La chambre où, enfant, il avait cru se perdre ou se noyer, s’était recréée.

    (1) Nouvelle extraite de Au creux du Styx, onze textes, 238 pages, 12 euros, frais d’envoi offerts, payable par chèque ou avec Paypal. Livraison garantie dans les huit jours suivants le peiement.

 

Une centaine d’auteurs et leurs livres, à découvrir sur : www.signature-touraine.fr

 

 

 

10:38 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (1)

12/12/2012

La statuette (1)

La statuette (1)

 Premier épisode

      Lorsqu’Angel Delapesadilla se réveilla, le soleil ne s’était pas encore hissé au-dessus de l’horizon; en aurait-il la force? De toute la journée, le verrait-on? C’était douteux, car l’hiver, humide, terne et gris, s’était imposé dans le pays. La lumière du printemps ne l’en chasserait pas de sitôt. Angel détestait cette atmosphère de spleen baudelairien, que lui-même n’aurait pas qualifiée ainsi, ignorant presque tout de la poésie.

 

    Malgré la difficulté qu’il éprouvait à traverser les mois sans couleur ni chaleur, Angel était demeuré là.  Cédant à  cette variété de fatalisme que l’on nomme l’apathie, il n’avait pas cherché ailleurs un autre emploi, donc un autre logement, voire une autre … destinée. L’insatisfaction familière semble trop souvent préférable à ce possible bonheur, qu’il faudrait bâtir sur de nouvelles fondations. Pour accomplir cet effort et plonger dans l’aventure, audace et force avaient manqué à Delapesadilla. Comment, par exemple, pouvait-il supporter l’affreuse sonnerie du réveil matin? Il aurait pu changer l’objet, en acheter un autre, dont l’alarme eût été moins stridente, plus supportable. Ce « projet » faisait partie des innombrables gestes qui restent à l’état de chimères. Angel, agressé par le vacarme du détestable machin, se promettait que le soir même, au sortir du bureau, il irait chez un horloger, écouterait diverses sonneries, et, parmi elles, choisirait la plus agréable. Le soir venait, Angel quittait le bureau, aussi peu enclin que la veille à réaliser l’achat. Demain, il le ferait. Oui, cela pouvait attendre encore un peu. Par ailleurs, s’il y réfléchissait bien, était-ce la sonnerie qui l’indisposait, ou le fait même de se réveiller à cette heure trop matinale, avant le jour, imposée par les nécessités du Service? Aurait-il mieux supporté l’aigre appel, s’il avait interrompu le sommeil une heure plus tard?  

    Enfin, l’employé se sentait vraiment trop fatigué, trop abattu. Les relations avec les collègues étaient si difficiles. Alors, comment affronter la goguenardise ou l’obséquiosité du commerçant? Comment lui expliquer que lui, Angel Delapesadilla, désirait un réveil mélodieux? Une telle merveille pouvait-elle exister dans une ville condamnée à la grisaille?

   

(1) Nouvelle extraite de Au creux du Styx, onze textes, 238 pages, 12 euros, frais d’envoi offerts, payable par chèque ou avec Paypal. Livraison garantie dans les huit jours suivants le peiement.

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02/12/2012

Au bar des philosophes

                Au bardes philosophes                                              

 

    Au Bar-Café-Tabac-PMU des Philosophes, une bande de potes se se goberge et se rince la dalle, sans retenue ni modération aucune. La énième tournée achève de débrider les langues. Mes lectrices et lecteurs auront, du moins veux-je l’espérer, la bonté de pardonner l’exactitude ethnologique de la transcription, car le langage de ces Messieurs de la Bibine paraîtra peu académique. 

 

-       Moi, vocifère Bébert, chuis pas raciste pour un sou, ça non alors les gars, mais j’peux pas piffrer les bougnouls, les Négros et les mal blanchis.

-       Caisse ki t’ont fait, s’enquiert Nanard.

-       Ces singes, tu sais jamais si se lavent, vu que la crasse se voit pas, sur leur foutu cuir. D’ailleurs, i puent tous, pas vrai, Maumau ?

-       Ouais, t’as ben raison, Bébert, maugrée Maumau, mais j’vais t’dire : y a pire qu’eux.

-       A qui qu’tu penses, l’interroge  Riri.

-       Les bougnouls, souvent, i’causent Français, on peut les piger, mais y a tous les autres, ceux qui jactent pas comme nous, les Chleus, pour commencer.

-       Ça c’est sûr, lui accorde Nanard, mais faudrait pas oublier les Polacks et les Rouskofs, tous des buveurs de vodka, une saleté, tandis que nous, on picole pas, on déguste le bon pinard, bien d’chez nous !

-       D’ac’, renchérit Riri, mais vous avez beau dire, moi j’m’méfie encore plus des Youpins et des Ratons, i’vous regardent jamais en face et  i’ bouffent pas de boudin, pas de cochon !

-       T’es dans le vrai, tempête Totor, les Youpins, i’nous piquent not ’flouze et les Ratons, i’nous plantent un schlass dans l’dos !

-       Moi, hurle Lulu, j’peux pas encaisser les Macaronis, les Espingouins et les Portugalais ! Ça se dit catholique, ce monde-là, mais cause toujours, rien que des tire-au-flanc !

-       Pour sûr, ratifie le Fifi, mais faut encore ouvrir l’œil avec les Japs et les Chintoks, i’veulent nous plumer la laine sur le dos !

-       Là, tu te goures un chouia, l’interpelle doctement le plus doué de ces penseurs, j’ai nommé Jojo, on dit pas « plumer la laine sur le dos », mais « tondre les plumes sur le dos ».

-       Là, tu cherches la petite bête, lui reproche Nono, on avait entravé quand même, pas vrai les poteaux, pis c’est pas la peine d’aller chercher si loin, y’en a d’autres, qui valent pas mieux !

-        Quoi qu’tu veux dire, le questionne Totor.

-       Les Amerloques et les Rosbifs, i’nous bavent ki sont avec nous, mais j’vais t’bonnir une chose : tous des faux-culs ! Ch’t’parie ki cherchent qu’à nous faire un gosse dans l’dos !

-       Ouais, postillonne Popol, zavez raison, les gars, y a qu’entre Français qu’on est bien ! Pas vrai, Tatave ? Maintenant, c’est ma tournée ! Patron, tu nous remets ça !

    Le regard vitreux, l’haleine si chargée d’ éthylique alcool qu’une allumette s’incendierait si on l’approchait de leur museau, nos philosophes du zinc, du gros rouge et du petit blanc, lèvent leurs verres et trinquent.

    Ils se sentent si bien, d’être tous pareils.

 

-       Une centaine d’auteurs et leurs livres, à découvrir sur : www.signature- touraine. 

09:48 Publié dans Nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0)