19/12/2012
La statuette (8)
La statuette (1)
Huitième épisode
Jamais ils n’avaient voulu installer le téléphone. Angel et ses parents résidaient à sept cents kilomètres de la maison familiale. Un mois s’écoula sans nouvelles. La longueur inhabituelle de ce silence finit par inquiéter le couple, qui décida de rendre une visite impromptue aux deux vieillards. Ils possédaient un double de la clef. Angel ne pourrait, désormais, libérer totalement son esprit de l’horreur, cette fois-là bien réelle.
Les héritiers emportèrent, vendirent ou jetèrent les meubles et divers objets du ménage, ne laissant sur place que le tableau cauchemardesque et une statuette de bronze, hideuse figure d’un guerrier chevelu, vêtu d’une tunique courte, qui brandissait dans la main droite un glaive au fil tranchant. Une menace informulée tordait la bouche. La brute riboulait des yeux sanguinaires. La violence, même figée dans le métal, n’en paraissait pas moins redoutable.
(1) Nouvelle extraite de Au creux du Styx, onze textes, 238 pages, 12 euros, frais d’envoi offerts, payable par chèque ou avec Paypal. Livraison garantie dans les huit jours suivants le peiement.
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18/12/2012
La statuette (7)
La statuette (1)
Septième épisode
Agé de quarante-cinq ans, Delapesadilla n’était pas retourné dans la vieille demeure depuis un quart de siècle, c’est-à-dire depuis le décès de ses grands-parents. L’événement avait été brutal et dramatique. Ils étaient tous deux accablés de ces maux, que cause le grand âge. La grand‘mère était devenue terriblement acariâtre. De morbides obsessions tyrannisaient le grand-père. La survie les accablait. L’un pour l’autre, ils ne furent plus que détestable fardeau. Par une nuit de Saint Sylvestre, le grand-père décrocha sa carabine, tua la compagne de sa vie en plein sommeil, puis se grilla la cervelle. Le hameau le plus proche était situé à trois kilomètres. Ce fut pourquoi personne n’entendit les détonations. Comme les défunts n’avaient maintenu que des relations très distantes avec les gens du secteur, nul ne s’inquiéta de ne plus les voir au village, à une quinzaine de kilomètres de là, où pourtant une fois par semaine ils allaient acheter les produits que l’autarcie traditionnelle (basse-cour, potager, verger, chasse et pêche) ne leur fournissait pas. Commerçants et connaissances crurent les grands-parents partis chez leurs enfants, car lorsqu’ils s’absentaient, ils n’en avisaient personne. Leur absence n’étonna donc personne.
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17/12/2012
La statuette (6)
La statuette (1)
Sixième épisode
Pendant une décennie, le carnage resta exposé à la vue des visiteurs, lesquels, soit trop décontenancés, soit trop polis, se gardaient d’exprimer de la répugnance. Quant aux grands-parents, des dizaines de fois par jour ils passaient devant le massacre. Probablement ne le voyaient-ils même plus. L’atroce image avait été rejetée dans ce recoin inaccessible de la mémoire, comme dans les parties les plus sombres et les plus poussiéreuses d’un grenier, où l’on n’ose plus s’aventurer.
Puis, un membre de la famille (lequel, Angel ne s’en souvenait plus) avait persuadé la grand’mère de couvrir l’abominable peinture de ce rideau noir. La représentation de ce qui devait être une légende médiévale resta imprimée dans la mémoire de l’enfant, puis, quoique atténuée, dans celle de l’adulte. Comment aurait-il pu l’oublier? Des lampes munies d’abat-jour et d’ampoules au faible voltage, posées sur une commode et deux guéridons, entretenaient l’illusion d’une vie monstrueuse dans le tableau ; les contrastes de lumières et d’ombres donnaient du relief tantôt à l’animal, tantôt à la troupe des fuyards. La fantasmagorie, que le crayon et le pinceau avaient figée, s’animait, vivait, débordait le cadre qui lui était imparti. Le pire, alors, devenait possible.
La porte de la chambre, où dormait Angel, se trouvait face au tableau. Or, il y avait, sous chacune des portes, un espace de deux ou trois centimètres, dont l’utilité ne fut jamais démontrée, mais qu’aucun bourrelet douillet ne vint calfeutrer. C’était l’une de ces menues négligences, que l’on remarque même dans les maisons les mieux entretenues. Elles nous surprennent, non parce que nous serions irréprochables chez nous, mais parce que nous soignons ces détails-là et commettons d’autres négligences, lesquelles nous paraissent sans importance.
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