25/09/2012
Entre muraille et canal (3)
1 - Les deux horloges
(Extrait de Entre muraille et canal)
Le huitième coup commençait tout juste à s’estomper, lorsque l’horloge de l’église prit le relais de celle de la Mairie. De la voiturette décapotable, mais peu sportive, descendit une petite femme maigrichonne, portant le costume de religieuse traditionnel : pour cacher la chevelure, le voile blanc ; l’ample habit gris clair ne laissant dépasser que les chaussures à semelles plates et bouts carrés, en résumé, cet uniforme qui gomme les rondeurs féminines, les escamote aux regards nécessairement lascifs des hommes au tempérament toujours lubrique. Malgré l’ampleur des robes, il était permis d’estimer que les dites rondeurs avaient depuis belle lurette fondu, ne laissant qu’un paquet d’os, garni du minimum de chairs indispensables pour la survie. L’austérité de la vie conventuelle avait peut-être causé le décharnement, mais il était aussi possible que la nonne n’eût jamais été parée d’appétissants appâts.
Un bref coup d’œil dans le rétroviseur lui avait suffi pour s’assurer qu’elle pouvait, sans risques pour sa sécurité, ouvrir la portière et descendre du véhicule. La précaution était quasiment superfétatoire, la circulation étant presque nulle, même durant la journée, dans la rue des Capucines, à l’exception des heures où les parents déposaient ou revenaient chercher leurs enfants, ce qui serait le cas dès le lendemain. La prudence de la Sœur prouvait au moins ceci : même placée sous la plus haute des protections, celle du Rédempteur, elle conservait une bonne dose de réalisme.
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24/09/2012
Entre muraille et canal (2)
1 - Les deux horloges (2)
(Extrait de Entre muraille et canal, livre électronique, disponible sur Amazon, à prix réduit)
Face à l’école, une fenêtre était ouverte, au rez-de-chaussée. Une femme s’y accoudait. Dès le premier regard, il était patent que la jeunesse l’avait quittée depuis fort longtemps. Le prouvaient les cheveux blancs disciplinés par les bigoudis, le visage raviné de rides, les os formant des saillies sous la peau tendue à presque se déchirer, exposant avec impudeur le masque mortuaire. Les tavelures éclaboussaient le front et les joues, comme si les phalanges de la mort s’ingéniaient à imprimer leur sceau sur l’épiderme, à en dénaturer la couleur, à enlaidir davantage ce qui, en soi, était affreux.
Dans cette face quasiment d’outre-tombe, seuls les yeux contredisaient la macabre impression, car ils étaient vifs et fouineurs, perçants, doués de cette infatigable agilité propre aux gens curieux de tous les événements, petits et grands, qui se déroulent aux alentours.
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23/09/2012
Entre muraille et canal Nouvelle annonce : correctif ! Erreur de dates, dans les annonces des jours précédents : le samedi 22 et le dimanche 23 septembre (et non les 15 et 16) aura lieu, à Sens, département de l’Yonne (89), un colloque sur La litté
Nouvelle annonce : correctif !
Erreur de dates, dans les annonces des jours précédents : le samedi 22 et le dimanche 23 septembre (et non les 15 et 16) aura lieu, à Sens, département de l’Yonne (89), un colloque sur La littérature prolétarienne, aux 19e et 20e siècles.
Je donnerai une causerie le dimanche matin, de onze heures trente à midi, intitulée « Bernard Clavel, chantre des classes laborieuses ». Occasion, pour les lectrices et lecteurs de ce blog de rencontrer l’auteur, surtout s’ils habitent dans la région de Sens.
1 - Les deux horloges (1)
(Extrait de Entre muraille et canal, livre électroqnique, en vente sur Amazon, à prix réduit)
Huit heures précises sonnaient à l’horloge de la Mairie, lorsqu’une 2 Chevaux s’enfila par la rue des Capucines. La voiture cahota sur le goudron inégal, bosselé par endroits, creusé à d’autres, ça et là rapiécé, minable et pitoyable comme un vieux vêtement miteux qui trop d’années fut porté. L’époque des calèches était depuis plus de soixante ans révolue, mais l’automobiliste n’était guère moins secoué dans les ruelles de Sainte-Radegonde-en-Marais, bourgade aux murs vieux de trois siècles, que lorsque, au rythme de leurs sabots ferrés claquant sur les pavés, les chevaux semaient la richesse de leurs déjections.
Ici, l’architecture elle-même évoque la forte musculature du cheval, le hennissement qui est le chant de cette force à la fois brute et domestique, les claquements du fouet à la brutalité variable, selon l’humeur, l’intelligence ou la sottise du cocher, la senteur puissante du crottin, les craquements de la paille, la moiteur de l’écurie, mais ces sensations n’existent plus alors qu’à l’état de souvenirs. Une vingtaine d’années plus tard, la nostalgie restaurera la primauté du cheval, au Parc uniquement, domaine clos de hauts murs, afin d’amuser les touristes eux-mêmes en quête de passé reconstitué. Alors, ils paieront, pour jouir du droit de poser leur derrière sur les sièges de moleskine d’une carriole cahotante, qui les secouera d’allée en allée, les cailloux n’accordant aucune douceur aux dos déjà fragilisés par l’automobile.
Le véhicule prolétarien s’arrêta devant l’une des bâtisses, que peu de choses extérieurement différenciaient des autres. On remarquait d’abord les vitres opaques donnant sur la rue, puis, au-dessus du lourd portail de bois, dont la peinture à l’indéfinissable couleur s’écaillait largement, l’inscription suivante :
« Institution du Rédempteur ».
Puis, gravés dans une plaque de cuivre, elle-même fixée sur le mur, à droite du portail et sous la sonnette, les précisions qui suivent :
« Toutes classes, de la Maternelle à la Troisième. Pensionnat pour les filles et garçons du collège ».
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