25/03/2013
Le cordon bleu (1)
Le cordon-bleu (1)
L’abbé Citrin et Marc Le Brahz se trouvèrent face à face, devant la porte de Germaine Ducasse. Le jeune enseignant tenait, dans la main droite, un petit bouquet de fleurs hivernales, et malgré cela lumineuses. Ils étaient venus de deux directions opposées, sur le même trottoir.
Les adversaires ne surent que penser. Que faisait l’autre, à l’heure du dîner, devant la porte de la bonne commère et fidèle paroissienne ? Comment expliquer la présence de celui dont la vue ne causait que déplaisir, à l’approche des joies gastronomiques et dînatoires ? Etait-il possible et concevable que l’autre fût, lui aussi, invité ? Non, la supposition paraissait éminemment absurde.
Comme deux chiens de races différentes, qui de père en fils se transmettent l’aversion pour la race adverse, ils se flairent avec méfiance. Les narines se dilatent, le dogue religieux subodore la puanteur de l’incroyance, tandis que la truffe du bulldog mécréant s’offusque de l’odeur d’encens que dégage la soutane. En conséquence, les mâchoires des deux molosses se préparent, sinon à l’attaque, du moins à la plus inconditionnelle défense.
(Extrait de Entre muraille et canal).
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01/11/2012
Et passent les rats (7)
Elena Mirasol (7)
(Extrait de Et passent les rats, roman)
Comme chaque matin, l’autobus a suivi la très longue Avenida de la Conquista, étalage clinquant, tapageur et racoleur de commerces de toutes sortes, de banques, agences immobilières, où bouillonne la laborieuse activité de Santa Soledad. Ici, la plupart des gens veulent réussir. Pour eux, ce verbe signifie d’abord et par-dessus tout, gagner de l’argent, beaucoup d’argent, le plus possible d’argent, toujours plus d’argent, puis de se payer ostensiblement les choses les plus onéreuses, afin de prouver leur supériorité aux pauvres larves qui n’ont su en faire autant. Pour ces incarnations de l’échec, suffisent soit les taudis, soit le bidonville.
Le plus souvent, plutôt que de regarder pour la dix millième fois le décor trop connu, qui plus que le drame ou la tragédie m’évoque la farce ou la bouffonnerie, je préfère soit lire, soit écouter l’un de mes morceaux de musique préférés. Les écouteurs dans les oreilles, les yeux fermés, je m’isole. Alors, je n’entrouvre les yeux que pour vérifier si nous n’approchons pas de l’Université Technologique, ou pour voir qui s’est assis en face de moi, homme ou femme ; s’il s’agit d’un mâle, immédiatement, je suis sur mes gardes. Ici, la femme seule n’est guère mieux considérée qu’un gibier. »
( Roman d’atmosphère fantastique, 470 pages, 18 Euros, frais d’envoi compris)
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31/10/2012
Et passent les rats (6)
Elena Mirasol (6)
(Extrait de Et passent les rats, roman)
A Santa Soledad, les artistes sont au mieux tolérés, au pire méprisés, ridiculisés. Encore une chance que je puisse me réfugier souvent chez les Casagrande, qui sont si accueillants. Eux ne se plaignent pas de m’entendre jouer. Ils disent même que la musique les aide à mieux créer. Quel magnifique talent ils ont tous les deux !
Dans l’autobus, je ne m’assois jamais loin du chauffeur, précaution qui m’épargne généralement les avances plus ou moins précises, plus ou moins pressantes, des voyageurs en quête de proies sexuelles. Sur beaucoup d’hommes de Santa Soledad, j’ai l’avantage de la stature, avec mon mètre quatre-vingt, taille exceptionnelle pour une femme dans la région où vécurent les Maztayakaw. Mon « anomalie » les rebute, car ici comme partout ailleurs, les hommes n’aiment pas que les femmes les regardent de haut. Cela leur inspire la crainte d’être psychiquement dominés. Néanmoins, la variété donjuanesque est à craindre : pour ces spécimens, peu importe la taille du flacon.
( Roman d’atmosphère fantastique, 470 pages, 18 Euros, frais d’envoi compris)
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