14/12/2012
La statuette (3)
La statuette (1)
Troisième épisode
Soudain, le projecteur des songes s’était désintéressé de la chambre, laquelle s’était volatilisée. Alors, un pan de mur était apparu, sans lien démontrable avec une maçonnerie d’ensemble. Un rideau noir, à mi-hauteur et au milieu de ce mur, couvrait un objet de forme rectangulaire et de médiocre épaisseur. Le voile, brusquement fut parcouru de frémissements, enfla par endroits, s’agita comme si l’on tentait de le soulever. Une forte main rougeaude et velue, surgie du vide, appliqua sur le rideau une claque sonore, qui rétablit le calme.
L’accalmie ne dure pas longtemps, car un abominable hurlement crève le rideau. Ce vacarme, digne de monstres antédiluviens, conjugue les horreurs et les poisons de la colère, de la faim et de la haine. Les intolérables sons se prolongent, et cognent contre les parois du crâne comme autant de coups de marteaux. Le dormeur voudrait les expulser, se soustraire à leur tyrannie, mais il manque de force et doit subir la terreur.
Une autre main est née de l’ombre, fine et blanche celle-ci. Nullement effrayée, elle s’approche du rideau, se pose sur lui, et paradoxalement, commence à le caresser, comme pour calmer la souffrance qui s’est, de façon si violente, exprimée. Peu à peu, les cris décroissent et meurent dans le silence. La douceur a mieux réussi que la brutalité, mais le cœur du dormeur bat encore trop vite. Sur ses membres pèsent d’énormes masses de pierres, comme s’il se trouvait enfoui, survivant plutôt que vivant, sous les décombres d’une maison.
(1) Nouvelle extraite de Au creux du Styx, onze textes, 238 pages, 12 euros, frais d’envoi offerts, payable par chèque ou avec Paypal. Livraison garantie dans les huit jours suivants le peiement.
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13/12/2012
La statuette (2)
La statuette (1)
Deuxième épisode
L’irréaliste client se présentait la scène: l’horloger fronce un sourcil soupçonneux, l’acuité professionnelle de son regard transperce l’importun ; froidement et sèchement, les lèvres pincées par le mépris, l’artisan de l’heure exacte répond au farfelu que sa maison est sérieuse, que pour les boites à musique il faut s’adresser ailleurs, qu’il ne prise pas la moquerie faite à ses dépens, enfin que lui, fournisseur de temps programmé, n’a certainement pas une minute à perdre avec les auteurs de canulars. Le client à l’étrange demande, farceur de mauvais goût, est éconduit. La porte se referme derrière le gêneur, avec un claquement dissuasif qui doit signifier: « N’y revenez plus ».
Ce matin-là, donc, Angel se sentait mal ; non pas malade, mais angoissé, très angoissé. Le rêve qui, au cours de la nuit, l’avait visité, hanté, possédé, ne le quittait pas. Les impressions en avaient été si fortes que, même après le réveil, elles persistèrent avec une obsédante fixité. Le cauchemar l’hypnotisait. Les images, caractérisées par l’habituel mélange de précision et d’ambiguïté propre aux rêves, l’avaient rejeté quarante ans plus tôt, dans les terres lointaines de l’enfance. Il n’y avait, chez les grands-parents maternels, qu’une seule chambre d’amis, qui recueillait l’invité, quel que fût son âge, son degré de sérénité ou d’anxiété.
L’un après l’autre, au-delà d’une porte qui se dressait seule, sans le support d’aucun mur, des meubles se montrèrent. Au milieu de la pièce fantomatique, un cercle de lumière les attira. Lentement, ils s’avancèrent, comme des gens frileux qui cherchent la chaleur du foyer: la grande armoire de châtaignier, avec sa glace où l’on pouvait se mirer de cap en pied, les deux chaises à dossier droit, recouvertes de velours vert sapin râpé par le frottement des fesses et des dos, les deux tables de chevet, enfin cet immense lit, taillé dans le même bois que l’armoire. La chambre où, enfant, il avait cru se perdre ou se noyer, s’était recréée.
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12/12/2012
La statuette (1)
La statuette (1)
Premier épisode
Lorsqu’Angel Delapesadilla se réveilla, le soleil ne s’était pas encore hissé au-dessus de l’horizon; en aurait-il la force? De toute la journée, le verrait-on? C’était douteux, car l’hiver, humide, terne et gris, s’était imposé dans le pays. La lumière du printemps ne l’en chasserait pas de sitôt. Angel détestait cette atmosphère de spleen baudelairien, que lui-même n’aurait pas qualifiée ainsi, ignorant presque tout de la poésie.
Malgré la difficulté qu’il éprouvait à traverser les mois sans couleur ni chaleur, Angel était demeuré là. Cédant à cette variété de fatalisme que l’on nomme l’apathie, il n’avait pas cherché ailleurs un autre emploi, donc un autre logement, voire une autre … destinée. L’insatisfaction familière semble trop souvent préférable à ce possible bonheur, qu’il faudrait bâtir sur de nouvelles fondations. Pour accomplir cet effort et plonger dans l’aventure, audace et force avaient manqué à Delapesadilla. Comment, par exemple, pouvait-il supporter l’affreuse sonnerie du réveil matin? Il aurait pu changer l’objet, en acheter un autre, dont l’alarme eût été moins stridente, plus supportable. Ce « projet » faisait partie des innombrables gestes qui restent à l’état de chimères. Angel, agressé par le vacarme du détestable machin, se promettait que le soir même, au sortir du bureau, il irait chez un horloger, écouterait diverses sonneries, et, parmi elles, choisirait la plus agréable. Le soir venait, Angel quittait le bureau, aussi peu enclin que la veille à réaliser l’achat. Demain, il le ferait. Oui, cela pouvait attendre encore un peu. Par ailleurs, s’il y réfléchissait bien, était-ce la sonnerie qui l’indisposait, ou le fait même de se réveiller à cette heure trop matinale, avant le jour, imposée par les nécessités du Service? Aurait-il mieux supporté l’aigre appel, s’il avait interrompu le sommeil une heure plus tard?
Enfin, l’employé se sentait vraiment trop fatigué, trop abattu. Les relations avec les collègues étaient si difficiles. Alors, comment affronter la goguenardise ou l’obséquiosité du commerçant? Comment lui expliquer que lui, Angel Delapesadilla, désirait un réveil mélodieux? Une telle merveille pouvait-elle exister dans une ville condamnée à la grisaille?
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