21/04/2014
Le réquisitoire 10
Le réquisitoire 10
L’excentricité de la bibliothécaire londonienne présentait l’avantage d’être invisible, insaisissable. Lorsque Miss Edith Bookworm lisait un roman, une nouvelle, un conte ou une pièce de théâtre, elle se passionnait tant pour l’histoire qu’elle finissait par se prendre pour l’héroïne ou le héros de celle-ci. Donc, les aventures n’étaient pas seulement contées. Il falalit qu’elles se fussent réellement produites. Ainsi, la paisible employée avait vécu mille destins contradictoires, sur les cinq continents, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours et même au-delà, puisqu’elle ne dédaignait pas la science-fiction. La préférence de la lectrice invétérée la portait vers les destins glorieux. La demoiselle vivait sur deux plans différents, que reliait l’objet nommé « livre », mais l’usage qu’elle faisait du « book » différait totalement selon qu’elle assumait les fonctions de bibliothécaire, ou qu’elle s’isolait dans son « home, sweet home », dans la banlieue qui jamais ne semble devoir finir, comme la multitude des livres.
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20/04/2014
Le réquisitoire 9
Le réquisitoire 9
Miss Edith Bookworm était de ceux-là, mais elle eut la chance, pour la majeure partie de sa vie, de pouvoir cultiver son excentricité, en toute impunité, dans le cadre de son activité professionnelle. En apparence, rien ne la distinguait des autres londoniens, c’est-à-dire de « l’Anglais moyen », puisque, comme le sait même le plus ignare des touristes, la capitale concentre à elle seule tous les défauts et qualités, les charmes et les tares d’un peuple…
Une passion emplissait la vie de la « spinster », mot traduisible par « vieille fille » : celle des livres. La chose paraîtra naturelle, et nous ne contesterons pas ce fait. Dans le cas de la demoiselle, la passion occupait sa vie de toutes les manières possibles : son seul loisir était la lecture ; elle achetait des centaines de livres, dont les tranches finirent par couvrir les murs de sa maisonnette. Miss Bookworm cultivait la fréquentation des grands classiques mais se tenait aussi au courant des nouveautés ; elle lisait les articles de critique littéraire, les appréciait à son tour, bien ou mal ; réalisait des fiches de lectures, qu’elle parcourait périodiquement, si bien qu’elle devint le puits de littérature qu’elle avait ambitionné d’être.
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19/04/2014
le réquisitoire 8
Le réquisitoire 8
Jamais la demoiselle n’avait exercé d’autre profession que celle de bibliothécaire. Elle avait débuté à l’âge de vingt et un ans, après ses études universitaires, dans une petite ville proche de Cambridge. Employée sérieuse et consciencieuse, elle avait tracé son chemin dans la forêt des livres, emplis de connaissance ou de fictions.
Nos voisins britanniques sont réputés pour leur capacité paradoxale d’associer deux comportements, qui nous paraissent incompatibles : le conformisme le plus étriqué et l’excentricité la plus débridée. Peut-être n’est-ce là qu’un cliché, que nous autres gaulois aimons colporter à propos de l’ex « ennemi héréditaire ». Quoi qu’il en soit, les personnes les plus intéressantes ne sont-elles pas celles qui savent concilier, dans leur existence quotidienne, ces deux pentes opposées ? Cela présuppose un dédoublement de la personnalité, le conformisme le plus sourcilleux servant de paravent à l’autre versant, l’invisible, le caché, que l’excentrique ne dévoile qu’à de rares initiés. Tout se passe bien, jusqu’au jour où l’excessive originalité ne peut plus être contenue, fait craquer les coutures du costume de respectabilité, dans lequel le faux conformiste se sentait comprimé, jusqu’à presque étouffer.
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