21/10/2014
L'apéritif des notables 3
L’apéritif des notables 3
(Extrait de Et passent les rats)
Sur la place, les fidèles s’attardent, bavardent, échangent les nouvelles, s’enquièrent de la santé des uns et des autres, s’invitent à siroter l’apéritif à la terrasse d’une brasserie. Tous les notables sont là : Monsieur le Maire Augusto Valle y Monte, le Commissaire Luciano Cazaladrones, le Président de l’Université Guiseppe Mascara, le Docteur Arturo Curatodo, le directeur de l’usine d’armements Hector Escudo, le propriétaire du supermarché William Quickbuck,
Luis Papelero, le Conservateur de la bibliothèque, et leurs épouses respectives. Se pressent encore là, autour de la monumentale silhouette du Maire, un juge et des avocats, des dentistes, des propriétaires d’agences immobilières, et, silencieux mais sûr de l’éternité de son pouvoir, le banquier.
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19/10/2014
L'apéritif des notables 2
L’apéritif des notables 2
(Extrait de Et passent les rats)
Lorsque Angel Pesar de la Cruz monte en chaire, il le fait comme le fantassin qui court vers les lignes ennemies, fusil en main, avec la bravoure qui porte à l’héroïsme. La crosse épiscopale lui sert de baïonnette. Toujours et partout, Monseigneur combat les forces du Mal avec fougue et détermination. Pour cela, il use de la force magistrale de son verbe, lui-même émanation du Verbe. S’il ne souffrirait pas l’emploi de l’adjectif « parfaite », amorce du blasphème, peut-être accepterait-il intérieurement que l’on qualifie sa rhétorique d’irréprochable, tout en protestant contre l’usage du compliment, par souci d’humilité. Chevalier de l’Eternel,
Angel Pesar de la Cruz affûte ses phrases, qui pourfendent telles des épées, propulse les mots comme la fronde les billes d’acier, utilise l’emphase mais sans excès, à bon escient, comme la graisse dans les mécanismes du fusil, se barde de références évangéliques et bibliques comme d’autres portent le casque et le gilet pare-balles… Que le Démon se tienne bien, car Monseigneur est un lutteur hors pair, à la langue infatigable, au puissant débit, au souffle descendu de la plus haute sphère, à la divine inspiration. Tout en bas, dans la Géhenne, les damnés se tordent et se convulsent sous les assauts de son fouet. Leur menu quotidien ne porte que « pleurs et grincements de dents ».
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17/10/2014
L'apéritif des notables 1
L’apéritif des notables 1
(Extrait de Et passent les rats)
Monseigneur Angel Pesar de la Cruz s’éponge le front. La grand’messe vient de s’achever. Puissamment, la voix grave de l’archevêque a tonné contre le vice, la corruption, le goût si répandu pour le lucre, celui non moins courant de la luxure, l’infidélité conjugale, les déviations sexuelles, l’irrespect des enfants pour les parents, le peu de cas que l’on fait des cheveux blancs, le manque de charité, l’insuffisante ferveur religieuse de nombreux habitants, l’abandon des valeurs chrétiennes, le cynisme des marchands de canons, l’égoïsme de l’élite financière, la paresse et le laisser-aller, au total contre les mille tares dont souffre la ville, et qui font d’elle une vieillarde percluse d’une variété d’arthrose sociologique.
Tout le temps que gronda l’homélie, le lutrin atypique n’a pas bronché : son bec ne s’est pas ouvert et nul vent n’a soulevé ses ailes déployées. Seuls les rubis de ses yeux ont rougeoyé, sombrement, comme animés par une arrière-pensée que l’âme humaine ne saurait sonder. Les rats, qui se terrent dans les recoins humides des chapelles, ont frémi. Leurs moustaches ont vibré, mais nous ne saurons pas ce qu’exprimait ce mouvement…
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