20/08/2013
Le fouineur 10
Le fouineur (10)
Là, je fus encore plus étonné par le rejet de la musique et du chant que je ne l’avais été par celui de la littérature :
« Vous n’allez tout de même pas me dire qu’il n’arrive pas aux gens d’ici de chantonner, de fredonner ?
- Ces habitudes anciennes étaient ridicules et non productives. Nous sommes des gens sérieux, à Santa Soledad, Monsieur. »
J’étais mouché d’importance. Prudemment, j’optai pour un silence désapprobateur mais me réservai le droit d’approfondir l’étude des particularités de la ville.
Au détour d’une allée, entre des montagnes de livres délaissés, nous entendîmes un cri aigu, suivi d’un trottinement rapide. A deux ou trois mètres de nous filèrent le museau pointu et moustachu, le corps noir et dodu, la longue et fine queue…
Pour la première fois depuis mon arrivée à Santa Soledad, sa Majesté le Rat s’était manifestée à moi, sous sa forme charnelle et fuyante. »
(Extrait du roman Et passent les rats, en vente sur ce blog)
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19/08/2013
Le fouineur 9
Le fouineur (9)
« Oui, Monsieur, c’est bien de la mort aux rats. Vous savez, ces sales bestioles s’insinuent partout. Non, nous ne remplaçons pas les livres détruits par les moisissures ou les rats. La dépense serait injustifiée. La bibliothèque a des priorités plus utilitaires.
- Vous voulez dire « utilitariste », je présume ? »
L’œillade assassine que me décocha la bibliothécaire chevaline me fit comprendre que j’étais, durablement et peut-être définitivement, classé dans la catégorie des suspects malades de passéisme.
« Qu’avez-vous fait des ouvrages de référence sur les arts, la musique, la peinture et la sculpture ?
- Vous les trouverez ici, parmi toutes ces vieilleries. Qui s’intéresse à ces balivernes, de nos jours ? »
(Extrait du roman Et passent les rats, en vente sur ce blog)
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18/08/2013
Le fouineur 8
Le fouineur (8)
Atterré par la crudité de ce cynisme, je ne sus que répliquer. Déjà, pensai-je, ma carte de visite m’a rendu suspect. J’eusse été mieux avisé de biffer la mention « écrivain ». J’osai pourtant demander :
« La lecture de ces livres est-elle interdite, à Santa Soledad ?
- Pas du tout ! Qu’allez-vous chercher là ? Non, chacun est libre de les emprunter aussi souvent et aussi longtemps qu’il le veut, mais le fait est que plus personne ne les demande depuis trois générations… Enfin, je devrais dire, quasiment personne… Il subsistera toujours quelques-uns de ces esprits passéistes, nostalgiques d’une époque où le lyrisme et la rhétorique, l’imagination et la poésie prétendaient fournir le sens de l’existence, tout en l’embellissant de façon fallacieuse. »
Je commençai à me sentir très mal à l’aise. L’atmosphère de cave, les relents de moisissure, l’ombre omniprésente, tout cela m’évoquait davantage les catacombes que les salles d’une bibliothèque. A divers endroits, je vis une poudre orangée, répandue sur le sol grisâtre. Effaré, je crus deviner la nature de la poudre, mais je voulus m’assurer que ma supposition était fondée.
(Extrait du roman Et passent les rats, en vente sur ce blog)
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