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11/02/2015

Ulysse 17

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (17)

(Conférence, donnée au LAC , le 12 avril 2014)

 

Première partie

 

3 Protée, dieu de la mer, doué de deux facultés :  celle de se transformer et celle de la prophétie.

    A onze heures, Stephen est à Sandymount Strand,  plage à l’embouchure de la Liffey. Le flux et la fixité, l’espace et le temps, le réel et l’imaginaire : voilà les pôles qui régissent Protée. Après Aristote, Stephen regarde le monde comme « ce que l’on est bien obligé de voir ».

    Pour Aristote, la vision travaille de pair avec la pensée ; ainsi, Stephen transforme le monde matériel qui l’entoure en objets de spéculation intellectuelle. Il joue les deux rôles, celui du spéculateur et celui du spectateur, mots qui ont une même racine latine : specere, voir ou regarder. Pour le lecteur, la difficulté consiste à les séparer. Nous suivons le monologue de Stephen ; ce que nous voyons dépend de sa pensée, qu’alimente sa vision.    

    L’idée de la mort et la vue d’un cadavre de chien le ramènent à la plus sordide réalité. Comme Hamlet, le jeune homme éprouve la tentation du suicide : pourquoi ne pas marcher au bord d’une falaise ?

    Il voit venir des femmes vers la plage ; en tête, marche une sage-femme qui, suppose-t-il, a dans son sac un cordon ombilical. L’observateur imagine les cordons du passé, mis bout à bout, devenant ligne téléphonique. Le penseur s’interroge à propos de Dieu, le Père et le Fils, et du coït de ses parents. Puis, il évoque Arius, hérétique du 3e siècle, à l’agonie aux cabinets, en érection …

   Ce qui précède est typique de Joyce : la plus grande liberté possible, l’insolence absolue, les apparents coq-à-l’âne.

   De pauvres cahutes se dressent, en haut de la plage aux odeurs d’égout, couverte de saletés. Le rêveur se revoit,  étudiant à Paris, imaginant sa gloire future. A son égard, il exerce une cruelle ironie, car il se croyait successeur des moines et prédicateurs irlandais du passé.

    Le promeneur voit  un chien s’éloigner, puis revenir vers un couple, introduction au thème de Protée : le chien se trans-forme tour à tour en lièvre, cerf, ours, loup, veau, léopard, panthère, rapace. C’est désopilant et, stylistiquement, du grand art. Les maîtres du chien sont assimilés à des fellah ; image de la soumission,  la femme suit l’homme et porte les sacs, pleins de coques. Le soir, elle se prostitue, tandis que Monsieur boit au café. Le fellah rattache la scène à l’universel : l’immé-moriale misère humaine.

    Ces pages fourmillent de ruptures, de passages rapides des souvenirs aux impressions actuelles. Joyce nous livre une suite d’instantanés. Cela vous bouscule et vous emporte.

    Stephen imagine des marins, repêchant un noyé. Cadavre d’homme ou de chien, une seule et même chose. Mulligan avait dit que la mort n’était que bestialité.

    Stephen se lève pour partir et voit un navire. L’idée de l’exil s’impose.  

 

 

 

05/02/2015

Ulysse 16

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (16)

(Conférence, donnée au LAC , le 12 avril 2014)

 

Première partie

 

2 Nestor, sage auprès de qui Télémaque va demander  des nouvelles d’Ulysse.

    La scène se déroule à dix heures, à l’école de garçons de Dalkey, où Stephen enseigne. Le professeur interroge les élèves sur l’histoire antique. Armstrong se moque de lui et entraîne les autres à sa suite. Imbus de leur supériorité sociale, ils savent que leurs parents payent la scolarité.

   L’Histoire se réduit à des légendes et Stephen se perçoit lui-même comme « Un bouffon à la cour de son maître, encouragé et méprisé et tâchant de gagner la louange d’un maître débonnaire. »  Il se rappelle les années studieuses et miséreuses, à Paris, remue des idées abstraites et sombres. Une phrase l’obsède :

    « Tu rendras à César ce qui revient à César et à Dieu ce qui revient à Dieu ».

   Stephen ne veut pas servir, ni céder aux appels xénophobes. Le souvenir des guerres le hante. La classe va jouer au hockey. Sargent, le myope et le laid, pas très doué, vient voir Stephen, pour qu’il l’aide en algèbre. Il incarne l’Irlande piétinée. Le sentencieux directeur, Mr Deasy, reçoit Stephen et le paye. Il  parle de la nécessité de l’économie. Stephen a des dettes ; il se sent prisonnier de l’institution, d’où l’image du nœud coulant.

    Au cours de l’entrevue, nous assistons au va-et-vient entre les paroles, les pensées de Stephen, les impressions senso-rielles et les allusions aux événements historiques. Mr Deasy confie à Stephen une lettre sur la fièvre aphteuse,  afin qu’il la propose à un journal. Il affirme que l’on cherche à dénigrer l’élevage irlandais, pour imposer l’embargo.

    Les cris et les claquements des battes résonnent  au dehors, mêlés aux horreurs de l’Histoire.

 

 

 

30/01/2015

Ulysse 15

Ulysse, l’œuvre multidimensionnelle (15)

(Conférence, donnée au LAC , le 12 avril 2014)

 

Première partie

 

1 Télémaque, fils d’Ulysse

 

   Pour se raser, Mulligan utilise un miroir fêlé, volé à une bonne.  Stephen y voit une image de l’art irlandais. Mulligan essaye de gagner la confiance de Stephen et lui dit qu’il connaît sa valeur ; ensemble, ils pourraient « helléniser » l’Irlande, c’est-à-dire la civiliser.

    En serviteur obéissant, Mulligan prépare le « breakfast » du Saxon. Personnification de l’Irlande et personnage shake-spearien, la vieille laitière donne à l’occupant ce qu’elle a de meilleur, le lait crémeux. On la paye avec retard mais, trop soumise, elle ne proteste pas. Cruelle ironie : Haines lui parle l’irlandais, qu’elle ne comprend pas.

   Mulligan compte sur le salaire de Stephen, pour s’offrir à boire. Après le repas, il veut se baigner, mais Stephen non. II pense que les autres sont sales, malgré leur hygiène, car ils restent « tachés ». Mulligan annonce la conférence de Stephen sur Hamlet.  Le trio sort et voit venir le vapeur, qui apporte le courrier. Haines est désigné comme « le maître de la mer ». Mulligan joue un double jeu ; il fait rire Haines aux dépens de Stephen, lequel devine que son ami veut la clef de la tour ; il faut qu’il se dépouille, au profit de l’Anglais.

 

   Stephen cède à Mulligan et part. Il ne retournera pas à la Tour ; ils se donnent rendez-vous au Ship, un bar, à midi et demi.  Comme Télémaque, Stephen est allé voir la mer, il a vu un navire et la rencontre aura lieu dans un bar appelé « bateau »… Comme Hamlet, il est entouré d’espions aux habits clairs, alors que lui, en deuil, a vu le spectre de sa mère, en rêve.