23/11/2013
Jean Genet 4
Jean Genet : Vers une écriture réflexive 4
La vie de Genet ne servira plus qu’à confirmer la sentence. Il sait qu’il a tort d’être un voleur, mais il choisit d’avoir tort, seul contre tous. « Il joue à qui perd gagne. » De plus, le regard qui l’a réifié sert d’amorce à la pédérastie.
Sartre mène magistralement la thèse ; les références littéraires et philosophiques sont diverses et nombreuses. Nous formulerons pourtant quelques réserves : la première, c’est que Genet lui-même n’a jamais parlé de la crise originelle, du moins pas telle que Sartre l’a décrite ; nous reprocherons au préfacier une volonté trop manifeste de tout ramener à cette unique explication.
Pour ce qui concerne le vol, Genet raconte, dans Journal du voleur qu’il a vu sa mère nourricière voler des fleurs dans un cimetière, afin d’en garnir la tombe de l’un de ses proches. Cela contredit la thèse de parents à la morale pointilleuse, que défend Sartre.
Nous ne saurons jamais si la crise originelle s’est produite ou non, et telle que nous la raconte Sartre ; elle est vraisemblable, mais le déterminisme très systématique de la démonstration nous laisse vaguement sceptiques. Une vie ne se résume pas à une seule scène, aussi importante soit-elle.
« Créer n’est pas un jeu quelque peu frivole. Le créateur s’est engagé dans une aventure effroyable qui est d’assumer soi-même jusqu’au bout des périls risqués par ses créatures. On ne peut supposer une création n’ayant l’amour à l’origine. (…) Tout créateur doit ainsi endosser (…) faire sien au point de le savoir être sa substance, circuler dans ses artères le mal donné par lui librement que choisissent ses créatures. » Jean Genet, « Journal du voleur », P. 235 et 236.
Article paru en 2010, dans Art et Poésie de Touraine et Florilège.
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22/11/2013
Jean Genet 3
Jean Genet : Vers une écriture réflexive 3
Le noyau de la thèse sartrienne : « la crise originelle »
Né de père inconnu en 1910, puis abandonné par sa mère à seulement sept mois, pupille de l’Assistance Publique dès 1919, Jean Genet souffre du stigmate lié à la bâtardise. Egaré dans ce monde de propriétaires, où l’enfant recueilli ne possède rien, il se sent exclu : la Terre est quadrillée de clôtures et de barrières. Le paysage est placé sous haute surveillance.
Puisque Genet n’a rien, il n’est rien. L’enfant va donc voler, afin d’exister, mais aussi parce qu’il connaît la fausseté de sa situation : ce couple d’agriculteurs et lui-même demeurent réciproquement étrangers. Pressentant qu’il est essentiellement coupable parce que bâtard, le petit Genet vole par obéissance, afin de ressembler à l’image négative que l’Autre s’est forgée de lui. Or, on le surprend, par derrière ; comme l’homosexuel passif, il est investi. Irrévocable, le jugement lui est asséné :
« Tu es un voleur ».
Sartre appelle la scène traumatisantela crise originelle. Voici le bâtard lié au pilori de sa propre infamie. Bien qu’il ne reconnaisse pas d’abord, dans le miroir, le visage du voleur, il va se convaincre qu’il doit être ce que les adultes voient en luI. Il ne pourra plus choisir entre le Mal et le Bien, puisque le second lui est fermé. Par contre, il peut choisir entre une carrière du Mal exemplaire, ou les velléités d’un amateur. Adulte, Genet s’adonne au Mal comme d’autres se consacrent au Bien : à corps perdu. C’est pourquoi il créera ce concept fou : la Sainteté du Mal.
Article paru en 2010, dans Art et Poésie de Touraine et Florilège.
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21/11/2013
Jean Genet 2
Jean Genet : Vers une écriture réflexive 2
Il y a un siècle naissait Jean Genet, dont l’œuvre scandalisa les contemporains et, aujourd’hui encore, paraîtra scandaleuse à beaucoup de lecteurs. Ce ne sont pas seulement les ingrédients de la recette qui font se soulever les estomacs, à savoir : vol, homosexualité brutale, souvent vécue comme un viol, scatologie, prostitution, agressions, trahison et meurtres, mais le fait que l’auteur bâtit, sur ce que lui-même nomme
l’abjection, une esthétique du Mal ; nous percevons, dans l’œuvre de Genet, comme une affectation des choix les plus ignobles, qui choque
le Juste, pour employer la terminologie sartrienne.
En outre, l’horrible jeunesse de Genet nous fascine parce que, toujours selon Sartre, elle est « l’envers de notre liberté ». Nous voyons, en Genet comme en un miroir déformant, ce que nous serions devenus, si nous avions suivi la pente de notre potentielle noirceur.
Oui, dire « Jean Genet » suscite aussitôt la réprobation. Le premier mot qui sourd est presque invariablement : « Sulfureux… ». Souvent, les censeurs ne l’ont pas ou très peu lu. Tout semble déjà dit. Indubitablement, au cœur de l’imagerie littéraire, Genet restera démoniaque. Il l’a voulu ainsi et il y a trop bien réussi. Pour autant, cela n’est qu’une face possible de cet écrivain à la plume somptueuse. Votre serviteur va s’essayer à prouver que, finalement, l’œuvre de l’ex voyou ne contient pas que de l’ordure. A ce propos, je citerai Jean-Paul Sartre :
« Mon casier judiciaire est vierge et je n’ai pas de goût pour les jeunes garçons : or, les écrits de Genet m’ont touché. S’ils me touchent, c’est qu’ils me concernent. S’ils me concernent, c’est que j’en peux tirer profit. » (Quatrième de couverture de Querelle de Brest)
Si d’aussi grandes plumes que Sartre et Cocteau s’intéressèrent au cas de Jean Genet, comment pourrions-nous prétendre que ses écrits ne nons concernent pas ? Précisément, s’ils ont causé le scandale, c’est paree qu’ils nous concernent au plus près, surtout par la contestation radicale de nos valeurs.
Genet nous frappe en plein visage, il nous désarçonne et, si nous le lisons vraiment, c’est-à-dire avec la profondeur et la générosité qu’il mérite, nous sortons changés de ses labyrinthes, car il ébranle nos certitudes. Essayons de comprendre comment et pourquoi Genet nous ensorcelle.
Article paru en 2010, dans Art et Poésie de Touraine et Florilège.
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