31/03/2013
Le cordon bleu (7)
Le cordon-bleu (7)
Truchaud se garde bien d’accepter l’offre. Il mange avec une lenteur exemplaire, probablement parce que les aliments glissent mal par son œsophage. Avec une peine douloureuse pour qui voudrait l’observer, il déglutit maladivement, comme si chaque bouchée devait être la dernière de sa vie. L’effort convulse le viasge.
Citrin a pris l’une des belles tranches, la découpe en petits dés, qu’il pose l’un après l’autre dans sa cuillère, puis mouille le pain avec, dans le regard, la délectation mesurée de l’homme qui veut se montrer civil.
Le Brahz manifeste une authentique voracité. Il accompagne l’assiettée de soupe de trois tartines, qu’il frotte d’ail cru, condiment mis à leur disposition sous la forme de gousses débarrassées de leur fine peau. Le prêtre a, lui aussi, choisi d’ailler le pain, mais le mécréant aura sur lui la supériorité d’une haleine trois fois plus enflammée par la plante aux vertus stimulantes pour l’organe palpitant et, de tous, le plus vital.
(Extrait de Entre muraille et canal)
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30/03/2013
Le cordon bleu (6)
Le cordon-bleu (6)
Germaine Ducasse s’esclaffe si bruyamment que les voisins doivent l’entendre, mais elle rit seule de sa plaisanterie ; le directeur esquisse un pâle sourire ; croyant peut-être se montrer avenant, Le Brahz grimace ; Citrin reste aussi froid que son église, même lorsque l’unique poêle s’y livre à des velléités de chauffage. L’hôtesse ne remarque pas le peu de succès rencontré par sa tentative d’humour infantilisant. Quant au son qu’elle produit, le respect de la vérité voudrait que nous le décrivions soit comme un coassement, soit comme un croassement.
Armée de sa louche, Germaine Ducasse emplit les assiettes creuses des convives d’une soupe épaisse, riche en légumes variés.
« Mettez-y du pain à tremper, si ça vous chante. Ça vous tiendra mieux au corps. »
La généreuse dame tranche, de son large et long couteau à dents, la miche à la farine bise. Une à une les épaisses tartines tombent dans la corbeille d’osier, fabriquée dans un autre village, à une trentaine de kilomètres de là.
(Extrait de Entre muraille et canal)
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29/03/2013
Le cordon bleu (5)
Le cordon-bleu (5)
Denis Truchaud, quand il se lève pour les saluer, vacille dangereusement. Citrin et Le Brahz se précipitent pour le soutenir, l’aident à se rasseoir, lui demandent s’il risque de s’évanouir.
« Non, pas du tout. Ne vous inquiétez pas pour moi. Ce n’est qu’un peu de faiblesse. Ça va passer tout seul.
- Je vais vous servir une Bénédictine, M. Truchaud, vous allez voir, je ne connais rien de mieux pour remettre quelqu’un d’aplomb.
- Vous êtes gentille, Mme Ducasse, mais je vous en prie, pas d’alcool, sauf un petit peu de vin au cours du repas.
- Vous voyez, il n’est pas raisonnable, il ne veut pas suivre les conseils d’une vieille comme moi, qui s’y connaît pourtant pour bien remettre les gens sur pied. Mais asseyez-vous, Monsieur le Curé sur ma droite, vous Monsieur le professeur sur ma gauche, comme ça je serai en face de M. Truchaud. Et pas de dispute pour les meilleurs morceaux, Messieurs, sinon je me fâche tout rouge et je vous prive de dessert ! »
(Extrait de Entre muraille et canal)
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